Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans la maladie se déclare dans les endroits où se réunissent les pèlerins. Parmi ces localités, dont quelques-unes sont aussi des villes de commerce, trois surtout attirent la foule : ce sont Hurdwar, dans le nord de l’Hindoustan, sur le Gange, Juggurnath, sur la côte d’Orissa, au nord-ouest du golfe du Bengale, et Gonjeveran au sud de Madras. Les pèlerins y arrivent pendant la saison chaude, après un trajet souvent de plus de cent lieues presque toujours fait à pied, dans un état d’épuisement et de misère dont il est difficile de se former une idée. Une fois dans ces lieux saints, l’agglomération, la mauvaise nourriture, la malpropreté, la débauche, les mettent dans des conditions telles que les germes morbides se développent, et que l’épidémie s’allume au milieu d’eux. Cette multitude infectée se disperse ensuite, et traverse le pays en tout sens, semant les miasmes et la contagion.

Ces immenses agglomérations favorisent donc la propagation du choléra. En sont-elles en même temps les causes productrices? On ne saurait répondre catégoriquement à cette question. Toutes les hypothèses possibles ont été faites sur l’origine du choléra aux Indes, mais aucune n’explique vraiment la difficulté. Quelle est la cause qui provoque la genèse du miasme? Est-ce l’agglomération des pèlerins dans de mauvaises conditions hygiéniques? Est-ce la putréfaction des détritus végétaux, sous un soleil torride, ou la stagnation des eaux du Gange, chargées d’impuretés et de cadavres, ou bien encore un état particulier du sol? On l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est que les pèlerinages aident à la propagation du choléra, que celui-ci recherche en quelque sorte une atmosphère pestilentielle. Par conséquent il est sage de souhaiter que le gouvernement britannique surveille les pèlerinages et imprime plus d’activité aux travaux de canalisation et de salubrité qu’il a entrepris pour assainir le pays. Quand de savans médecins proposent d’aller attaquer le mal à sa racine pour le détruire à tout jamais, et prêchent une croisade aux Indes dans laquelle tous les peuples civilisés s’uniraient pour couper les têtes de l’hydre, comme autrefois Hercule coupa celles du monstre de Lerne, on peut applaudir à la généreuse hardiesse du projet, mais on se demande par quels moyens on le mettrait à exécution.

La Perse, située entre l’Inde et l’Europe, n’est pas un foyer de choléra, mais c’est un pays où la maladie trouve un terrain si approprié qu’elle y régna très souvent. Il y a peu d’années encore, le royaume du shah offrait sous ce rapport un triste spectacle. Les immondices n’étaient pas enlevées; les cadavres des animaux, chameaux, bœufs, chevaux, mulets, étaient dévorés par les chiens, les chacals et les oiseaux de proie dans les villes ou dans les environs. Une croyance religieuse très enracinée y faisait considérer comme