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Comment le choléra était-il arrivé en France? Au mois d’août 1817, il sévissait avec une extraordinaire violence à Jessore, d’où il s’étendit bientôt sur toute la province du Bengale, de l’embouchure du Gange au confluent de la Jumna. En 1819, il régnait dans les Indes inférieures, à Sumatra, à l’Ile-de-France; en 1820 et 1821, il occupait toute la Chine, l’archipel des Philippines, Java. En même temps, il traversait le golfe d’Oman, se propageait le long des bords du Golfe-Persique et pénétrait en Perse. Il désola longtemps cette dernière contrée avant de pénétrer en Europe. Enfin en 1823, partant de Recht, dans la province de Ghilan, il longea le littoral de la mer Caspienne et franchit la frontière russe. Dès le 22 septembre de cette année, il avait atteint Astrakan. Il n’y fit cependant qu’une courte apparition; mais en 1829 le choléra, qui n’avait pas cessé de sévir dans le nord de la Perse et dans l’Afghanistan, fut apporté à Orenbourg, puis à Tiflis, puis à Astrakan, et cette fois pour gagner décidément la Russie entière. Dès le 20 septembre 1830, il éclatait à Moscou, où il régna un an. L’épidémie s’étendit ensuite jusqu’à Kiev et à travers toutes les provinces occidentales de la Russie jusqu’aux frontières de la Pologne. Les armées qui étaient alors en campagne dans ce pays contribuèrent notamment à la propagation de la maladie, et c’est là qu’on vit pour la première fois avec netteté la transmission de l’épidémie par les mouvemens de troupes. En mai et juin 1831, la Moldavie et la Galicie, en août la Prusse, furent envahies; puis vinrent la Hongrie, la Transylvanie et le littoral de la Baltique. Le 27 janvier 1832, le choléra était annoncé à Edimbourg, et le 10 février on le signalait à Londres. Des côtes anglaises, le fléau menaçait la France et la Hollande. Le 15 mars 1832, il apparaissait à Calais, et le 26 mars il était à Paris. L’épidémie dans la grande cité dura six mois; elle atteignit son maximum d’intensité le 9 avril, où il y eut 814 décès, resta stationnaire pendant quelques jours, puis commença de décroître : 18,400 personnes furent enlevées sur une population de 945,000 habitans. De Paris, l’épidémie avait rayonné dans toutes les directions et gagné peu à peu le reste de la France. Des émigrés anglais l’avaient d’autre part transportée en Amérique, en Portugal et en Espagne. Elle ne parvint en Italie qu’en 1835. La Suisse et la Grèce furent épargnées. Cette première invasion a été, on le voit, très lente : elle a mis vingt ans à gagner le monde. Les invasions ultérieures montreront plus de diligence. Par suite de l’activité des transports, de la fréquence et de la rapidité des communications, les germes du choléra circuleront désormais avec une promptitude étonnante.

Entre les années 1837 et 1847, l’Europe, délivrée du choléra, n’en eut guère de souci ; mais les médecins, qui suivaient d’un œil