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Sa mort arrêta les négociations. Un successeur lui fut élu, dont le règne ne dura que peu de mois, et à une élection subséquente la faction espagnole obtint l’élection d’un pape, Grégoire XIV, qui reprit et suivit les erremens de Grégoire XIII, ce qui prolongea la guerre civile en France pendant quatre ans encore. C’est la période la plus anarchique, la plus affligeante de l’histoire de la ligue; tout le monde en connaît les tristes péripéties. Paris soutint un siège désespéré, avec les horreurs de la famine. C’est alors que les catholiques non ligueurs du parti politique et les plus éminens prélats du royaume, d’accord avec les protestans modérés, convinrent de l’abjuration d’Henri IV, laquelle fut reçue à Saint-Denis, malgré les obstacles odieux suscités par le légat pour empêcher les prélats français de la consacrer. M. Poirson en a raconté, dans son Histoire d’Henri IV, les principaux incidens, dont un jeune historien va donner bientôt un récit plus complet, sur pièces nouvelles. Je me contenterai d’y ajouter un détail qui m’est fourni par l’auteur trop peu consulté de la Chronologie novenaire[1]. « Trois grands prélats, dit-il, ont été les principaux instrumens de remettre la France en la paix dont elle jouit. Ces prélats sont M. le cardinal de Gondi et M. le cardinal du Perron,... et ce n’eust été rien des deux sans messire Régnant de Beaune, archevêque de Bourges, lequel reçut le roi en l’église, nonobstant tout ce que fit et dit le cardinal de Plaisance (Espagnol, légat du pape), lequel envoya un messager à Saint-Denis lui porter un ordre qui prohiboit à tous ecclésiastiques de recevoir le roi en l’église ; lequel billet fut trouvé sur sa chape en même temps que le roi entroit à l’église;... mais ores que la lecture de ce billet rendit comme ébahis beaucoup des ecclésiastiques assistans, qui s’en remirent à sa discrétion, il leur dit : Ne voyez-vous pas que c’est une simple écriture privée qui n’est en forme? et quand elle seroit en forme, elle ne vient en temps deu. »

Le bon sens de Clément VIII s’écarta heureusement de la voie de Grégoire XIV pour se rapprocher de la voie de Sixte-Quint, et l’on sait comment l’affaire finit à Rome peu de temps après; mais Paris résista longtemps encore. L’abjuration d’un côté, l’édit de Nantes de l’autre, terminèrent cette affreuse guerre civile, qui avait mis la France en péril de perdre son rang, sa puissance et même sa nationalité. L’esprit l’emporta sur la sottise, la raison appuyée sur une bonne armée prévalut sur les folies du fanatisme, et pour la France comme pour l’Europe s’ouvrirent les destinées nouvelles de la civilisation moderne.


CH. GIRAUD, de l’Institut.

  1. Voyez Palma Cayet, t. Ier, p. 7, édit. Buchon.