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en effet, la rive droite, la rive gauche et la cité au milieu présentaient des aspects et avaient des mœurs qui leur étaient propres. Paris n’avait point cependant encore toute la circonférence que nous lui avons vue avant l’annexion de 1856. Dans l’enceinte de Philippe-Auguste, la ville avait renfermé 200,000 âmes, au commencement du XIIIe siècle, et près de 300,000 au début du XIVe ; malgré les guerres des Anglais et les troubles sanglans du XVe siècle, elle comptait 400,000 habitans au temps du ministre vénitien Barbare, 1565, et arrivait au double[1] en 1580, réduite à 600,000, selon Bentivoglio, en 1601, mais fort entassée en bien des points. « L’on soulait estimer à Paris plus de 4,000 tavernes de vin, plus de 80,000 mendians, plus de 60,000 escrivains ; item de escoliers et gens de mestier sans nombre ; item la compaignie, prelatz et princes à Paris assidûment conversans, les noblesses, les estats, les richesses et diverses merveilles, solemnités et nouvelletés ne pourrait nul raconter parfaitement. » (Guillebert de Metz.)

Sur la rive gauche était le monde des disputes de l’esprit, l’université, célèbre entre toutes et centre d’un actif mouvement avec 30,000 étudians, pauvres la plupart, disséminés dans de nombreux collèges, dont la trace a disparu, trois grandes et puissantes abbayes, Saint-Victor, Sainte-Geneviève, Saint-Germain-des-Prés, centres d’études et de lumières ; enfin des couvens populeux qui étaient autant d’agglomérations appliquées à l’étude, à la prédication, tels que les bernardins, les jacobins, les cordeliers, les jésuites, derniers venus sur la montagne. Dans l’enceinte de chacun de ces couvens vivaient des centaines de moines ou aspirans à la vie monastique. Sur la rive droite, les halles, les corps de métiers, le négoce avec son cortège agité, turbulent, les habitations seigneuriales et royales, l’Hôtel de Ville, chef-lieu d’une constitution municipale démocratique, et quelques abbayes fort riches comme Saint-Martin, le prieuré du Temple, etc. Dans l’île ou la cité, séjour ancien des rois, l’archevêché, le parlement, la vieille Notre-Dame, le palais, agité comme une Bourse, les administrations, les institutions de bienfaisance, centre d’action et de direction, resserré entre deux foyers plus actifs encore, la marchandise et les écoles ; le tout mobile, remuant, comme la nation même, et perpétuellement tourmenté par les préoccupations de la politique, de la fortune et de l’intelligence, où le déportement des jouissances allait de pair avec l’ambition et les rêves de l’esprit. L’université de Paris avait exercé sur l’activité intellectuelle du moyen âge une influence prédominante. Tous les grands esprits s’y étaient rencontrés, depuis Thomas d’Aquin jusqu’à

  1. Cf. Springer, Paris au treizième siècle, 1860 ; — la Ville de Paris au quinzième siècle, de Guillebert de Metz, 1855, p. 81, et Tommaseo, t. Il, p. 25, 605.