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mer ; les vivat roulaient de rue en rue comme un tonnerre. Ceux qui pouvaient approcher baisaient le bord de son manteau. Il y en avait qui l’adoraient comme un saint, et lui faisaient toucher des chapelets. Les dames jetaient sur lui du haut des fenêtres une pluie de fleurs, et à travers cette foule idolâtre il s’avançait lentement, épanoui, radieux, caressant chacun de l’œil, du geste et de la voix avec cette grâce magique dont on disait « que les huguenots étoient de la ligue quand ils regardoient M. de Guise. » — « Il est de haute taille et des mieux faits, dit un ambassadeur vénitien, sa figure est majestueuse, ses yeux vifs, ses cheveux blonds et bouclés, sa barbe élégante et courte, avec une balafre sur le visage, dont il a été glorieusement marqué dans un combat[1]. Dans tous les exercices de corps il est admirable d’aisance et de grâce. Personne ne sauroit lui résister à l’escrime. » Les hommes graves et clairvoyans découvraient pourtant chez lui le factieux. Il y a une demi-page des Mémoires de De Thou, qui est l’honneur du magistrat et la leçon de l’histoire. Le duc lui offrait à Blois, ainsi qu’à tout le monde, ses services, son crédit, de grands emplois, comme s’il en disposait déjà. De Thou, qui fuyait toute sorte d’engagemens, ne répondit qu’en peu de paroles, malgré les complimens et les caresses, et quitta le duc au plus tôt. Celui-ci s’en plaignit à Schomberg, parent et ami du président, et De Thou répondit « que les bonnes grâces d’un si grand prince lui seroient fort honorables ; mais qu’il avouoit naturellement ne pouvoir approuver la politique qu’il suivoit ; qu’on ne voyoit autour du duc de Guise que tout ce qu’il y avoit de gens ruinés et des plus corrompus dans le royaume, et presque pas un honnête homme ; que cette raison l’avoit obligé d’en user comme il avoit fait ; que de l’humeur dont il étoit, il aimoit mieux vieillir dans une retraite honorable que d’acheter un peu d’éclat par une telle liaison. » Quand le duc de Guise apprit de Schomberg cette réponse, ajoute le président De Thou, il dit « qu’il avoit toujours fait son possible par ses soins et par ses bons offices pour gagner l’amitié des honnêtes gens ; que toutes ses démarches ayant été inutiles, puisque plus il leur faisoit d’avances, plus ils sembloient s’éloigner, il avoit été bien obligé, dans un temps où il avoit besoin de tant d’amis, de recevoir ceux qui venoient s’offrir à lui de si bonne grâce. » C’est l’histoire éternelle des séditieux. Le cardinal de Retz a fait quelque aveu de ce genre, et je ne veux pas descendre aux temps modernes.

Si du moins il eût réussi ! mais il a échoué, il le faut dire, et sottement ! Aussi un autre homme, de plus grande marque encore

  1. François de Guise portait aussi une balafre de bataille sur la figure ; mais le nom spécial de balafré est resté à Henri.