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naître encore tout ce que les archives publiques et privées possèdent de correspondance inédite du Béarnais. Les ressources d’esprit, de talent, de ruse, de dextérité, de fermeté, de courage persévérant, qu’il a déployées pour débattre ses intérêts avec l’Espagne, les Lorrains et les Valois, sont incroyables. C’est à coup sûr un des princes les plus habiles et les plus avisés qui aient régné sur la France. Dès le début des guerres, il avait compris qu’il n’y avait pas de milieu pour lui entre le trône et l’exil, et il avait pris le parti qui convenait à sa grande âme. Ses premiers soins se portèrent vers l’organisation d’une résistance disposée au besoin pour l’agression, et sans argent, sans territoire, il réussit à former une petite armée solide et dévouée, laquelle, bien conduite, lui ménagea une force qui ne faillit jamais entre ses mains. Il avait respiré l’héroïsme dans ses montagnes natives, et des bras d’une mère il le porta sur les champs de bataille. Deux fois (en 1586 et en 1589), ses affaires furent compromises au point qu’on lui conseillait de passer en Angleterre, où la puissante Elisabeth lui offrait un refuge, et deux fois il s’attira l’estime universelle par le refus périlleux de quitter le sol français, où ses résolutions magnanimes et sa valeur forcèrent la destinée et furent couronnées par la victoire. Brave soldat autant que capitaine habile, il risquait cavalièrement sa tête dans une rencontre, comme le plus hardi de ses hommes d’armes. Résolu dans le commandement, sympathique aux subordonnés, philosophe avec ses amis, inspirant la confiance à ses soldats, il était à la fois son ministre, son général, son secrétaire, son négociateur. Ses lettres sont des chefs-d’œuvre, ses manifestes des monumens. Il avait une diplomatie qui lui était propre, secrète malgré son franc-parler, s’essayant envers tous sans répulsion pour aucun, sans fanatisme, ni découragement. Il était disposé à s’entendre avec tout le monde, même avec Philippe II, c’est M. de Hübner qui nous l’apprend. Au demeurant, homme de plaisir, charmant compagnon, sceptique aimable, profondément sensé dans le discernement des choses, et connaisseur assuré dans le maniement des hommes, à la guerre comme au civil. Ses vices, ses défauts même, il les faisait servir à sa cause. Tel était l’homme qui devait rendre à la monarchie le respect et la considération qu’elle avait perdus.

Il avait commencé la guerre civile en cadet de Gascogne, et il la finit en monarque victorieux. Les regards de toute l’Europe étaient depuis longtemps fixés sur lui. Lorsqu’il parut à l’entrevue du Plessis-les-Tours (avril 1589) pour concerter avec Henri III la défense de la royauté agonisante, il frappa d’admiration les spectateurs, qui devinèrent en lui le sauveur de la France et le contemplèrent avec curiosité. « De toute si troupe, dit Palma Gayet, nul n’avoit de manteau et de panache que lui. Tous avoient l’écharpe