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s’il ne trouvait personne qui voulût s’en charger[1]. Mais Henri de Valois n’avait pas été moins aveugle dans sa vengeance. Il avait à son tour été fasciné par la passion, et n’avait pas réfléchi qu’un acte odieux suffit à perdre la meilleure cause. Le sentiment de la moralité des actions avait disparu du commerce des hommes. Une apparente justice légitimait le meurtre aux yeux du roi, et la forme, qui est tout en pareil cas, apparut comme rien à son esprit; c’est un des signes de ce triste temps. Il se méprit au spectacle de la répulsion qui éloignait les hommes d’ordre du duc de Guise, dont l’usurpation agressive révoltait les cœurs droits, même parmi les catholiques non engagés dans le parti; il recueillait en outre autour de lui des témoignages de dévoûment qui partaient d’une source moins pure, mais qui flattaient son penchant, lâche et cruel à la fois : il y vit un encouragement à l’assassinat. L’un avait eu l’audace de l’ambition, insensée et cruelle à son jour, témoin la mort de Coligny; l’autre eut l’audace de la fureur, plus froidement calculée, non moins insensée en sa férocité. Dans le parti royal, le châtiment du duc était d’avance proclamé nécessaire, et après l’exécution le meurtre trouva sa justification auprès de certains esprits. Il fallut que la clameur publique se prononçât en faveur des victimes pour comprimer ce mouvement, tant l’esprit de parti obscurcissait alors la notion du bien et du mal. On a peine à croire ses yeux quand on lit dans un écrivain honnête comme Lestoile de telles paroles : « Les corps du duc de Guise et du cardinal furent mis en pièces par le commandement du roi en une salle basse du chasteau, puis brûlés et mis en cendres, lesquelles après furent jetées au vent, afin qu’il n’en restât ni relique ni mémoire; supplice digne de leur ambition, lequel encore qu’il semble de prime face inique, voire tyrannique, ce néanmoins, le secret jugement de Dieu caché sous telle ordonnance et exécution nous le doit faire recevoir comme de la main divine... En tout grand exemple, il y a quelque chose d’iniquité, qui est toutefois récompensé par une utilité publique. » Ces maximes étaient dans la pensée d’un grand nombre; au jour critique, il ne se trouva plus personne pour en prendre la responsabilité.

Vainement Henri III, en même temps qu’il immolait son ennemi, avait envoyé de tous côtés, pour expliquer sa conduite, des dépêches et manifestes, tels que celui qu’il adressa au duc de Nevers, passé de la ligue au parti politique. « Le duc de Guise, y est-il dit, travaillant à dresser sa partie, pour se saisir de ma personne et trou-

  1. Voyez les curieux Mémoires de J.-A. De Thou dans la Collection de chroniques et mémoires de Buchon. Ils sont remplis de détails piquans sur l’époque dont il s’agit.