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Périers, Castellion, Bolsec, Servet (dont le supplice n’eut lieu que l’année même de la mort de Rabelais), et qui n’acceptèrent nullement la dictature de Calvin. Il fallut les terribles persécutions de la seconde moitié du siècle pour constituer cette espèce de royauté dogmatique. On voit toujours en effet que les tendances poussées au désespoir se groupent volontiers autour des esprits dominateurs qui les représentent avec le plus d’indomptable énergie ; mais, tant que Rabelais vécut, la situation n’atteignit pas ce paroxysme.

On se demandera peut-être pourquoi donc l’ancien moine, malgré ses idées protestantes, resta dans l’église catholique et même y exerça dans ses dernières années des fonctions sacerdotales. Nous savons par Rabelais lui-même qu’il avait une sainte horreur du martyre. « Jusqu’au feu exclusivé, , » dit-il maintes fois quand il déclare qu’il soutiendra toujours une opinion. Comme il approuve Pantagruel de n’être guère « demouré à Toulouse quand il vit qu’ils faisaient brûler leurs régens tout vifs comme harans sorets, » — faisant allusion au supplice de Jean Caturce de Limoux, jurisconsulte brûlé dans cette ville en 1532 ! Il est visible que Rabelais fut de ceux qui répugnèrent au schisme tant que la royauté ne patronnerait pas la rupture. Devenu hostile à l’église plutôt par la voie rationnelle, par son savoir et ses lectures, que par une forte impulsion de conscience, il ne comprenait guère comment la réforme pourrait s’introduire dans la masse ignorante autrement que par un coup d’autorité, et ce coup, le roi seul pouvait le frapper. Son espoir secret, quelque temps encouragé par les velléités protestantes de François Ier fut toujours qu’enfin la France aurait un roi usant de son pouvoir absolu pour faire la réforme. Un Henry VIII éclairé et clément, tel eût été son rêve. En attendant, il pensait qu’il était à la fois plus sûr et plus sage de rester dans les vieux cadres, et peut-être sera-t-il toujours impossible de faire le départ exact des calculs d’intérêt et des raisons théoriques dont la combinaison détermina jusqu’à la fin sa ligne de conduite ; mais qu’on ne fasse pas de Rabelais un apôtre d’irréligion. Ce n’est pas le grotesque Panurge, c’est Pantagruel qui demeure le vrai dépositaire de ses idées religieuses, quand il est sérieux, et les prières vraiment admirables, la piété, simple de formes, mais très réelle qu’il lui prête, l’émotion communicative du jeune héros méditant sur la mort rédemptrice du Christ, ne peuvent se concilier avec la réputation très gratuite d’impiété qu’on a faite au curé de Meudon.

Quelle est donc la véritable clé de son livre ? Il s’agit, avons-nous dit, de chercher le grand mot dont Panurge éprouve le besoin absolu pour savoir s’il peut se marier, et que Pantagruel aussi désire ardemment connaître, mais pour des motifs plus élevés. C’est