Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/834

Cette page a été validée par deux contributeurs.

auprès de Jean Du Bellay, envoyé de nouveau près du saint-siége. De là il fit si bien qu’il rentra en grâce. Quelques flatteries à l’adresse de Diane de Poitiers furent pour beaucoup dans ce regain de faveur royale. Du reste, Rabelais éprouvait plus que jamais le besoin de s’assurer des protecteurs. Il écrivait du ton le plus câlin au cardinal de Guise, et c’est par ce puissant canal qu’il obtint la cure de Meudon en 1551. On a voulu révoquer la chose en doute, elle est incontestable, et, ce qui ne l’est pas moins, c’est que Rabelais fut ce qu’on appelle un bon curé, prenant grand soin du corps et de l’âme de ses paroissiens, très estimé du duc et de la duchesse de Guise, qu’il visitait dans leur beau château, très recherché pour sa conversation et même couru comme prédicateur. J’avoue que, lorsqu’on vient de relire le Pantagruel, on a toutes les peines du monde à garder son sérieux à l’idée de Rabelais disant la messe ou confessant les bonnes gens. Il faut pourtant bien qu’on s’y résigne et même qu’on se le figure écrivant à la même époque le « quart-livre » de Pantagruel, le plus virulent des cinq contre les abus de l’église. Toutefois il se garda bien de le publier. Le poète Ronsard, qui s’était cru attaqué par lui et qui avait pris parti pour Ramus, raillé, lui aussi, par l’impitoyable satirique, avait l’oreille des Guises et ne le ménageait pas auprès d’eux. Il est peut-être heureux pour lui que la mort l’ait enlevé en 1553 aux embarras croissans d’une position à la longue intenable. Rappelons encore qu’il n’y a rien d’historique dans les légendes dont on entoure son lit de mort. On veut qu’il se soit affublé d’un domino pour mourir in Domino, qu’il ait plaisanté jusqu’à son dernier souffle, ordonné de « tirer le rideau sur la farce jouée. » Tout cela est apocryphe. Ses amis et quelques-uns même de ses adversaires affirment qu’il mourut avec dignité et religieusement. Il fut enterré dans le cimetière de Saint-Paul à Paris, où il s’était fait transporter quelques jours avant sa fin. Un grand arbre, objet des soins respectueux de ses admirateurs, indiqua longtemps la place où ses restes avaient été déposés. Le dernier livre de Pantagruel, trouvé chez lui en manuscrit, ne parut qu’une dizaine d’années après sa mort, et bien que le fond, même la plus grande partie du récit, soient incontestablement de lui, d’habiles critiques ont pu discerner quelques additions et quelques retouches provenant d’une autre main.


III.

Il nous faut aborder la question qui excite le plus vivement la curiosité, qui a provoqué les patientes recherches des éditeurs et commentateurs de Rabelais. A-t-on la clé du Pantagruel ? Chacun sait que d’après la même tradition, dont nous venons de relever les