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royale. Dénoncé et arrêté comme un criminel d’état, il aurait été, comme il s’y attendait, porté gratis à Paris, surveillé de près, mais soigné à proportion. Le tout se serait terminé par un éclat de rire du roi. Ce trait plaisant est devenu traditionnel, puisqu’on veut en dériver la locution proverbiale du quart d’heure de Rabelais ; mais, outre que les preuves directes manquent, il faut avouer qu’il est d’une rare invraisemblance. Rabelais ne joua jamais ainsi ni avec le roi, ni avec le bourreau, et Voltaire a déjà fait remarquer le danger que courait le trop spirituel voyageur d’être, non pas transporté aux frais du trésor royal, mais bel et bien jeté dans une basse-fosse et très maltraité, en attendant que les ordres de la cour fussent arrivés à Lyon.

De retour en France et toujours attaché aux Du Bellay, nous le voyons continuer ses études médicales, publier des almanachs ou prognostications comiques, suivre ses protecteurs à Castres, à Narbonne, et repartir en 1536 pour Rome à la suite du même Jean Du Bellay. C’est lors de ce voyage que, toujours prudent, il régularisa sa position ecclésiastique, fort compromise, depuis qu’il avait, sans permission, quitté la vie monastique. Après d’assez longues démarches, il obtint du pape une bulle d’absolution. Le cardinal Du Bellay put alors lui donner une place de chanoine au chapitre de Saint-Maur-des-Fossés, dont il était l’abbé. En 1537, Rabelais se fait recevoir docteur en médecine à Montpellier, parcourt le midi, exerçant son art de droite et de gauche, va visiter son pays natal, et à Chinon renoue connaissance avec le célèbre cabaret de la Cave peinte, « où l’on montait par autant de degrés qu’il y a de jours en l’an. » Puis il parcourt la Normandie et se décide enfin à publier en 1545 le « tiers-livre » ou, plus exactement, la seconde partie de son Pantagruel. Sa bonne étoile voulut que François Ier, très amateur de ce genre d’écrits, se déclarât son protecteur, et refusât de donner suite aux accusations d’hérésie que, du côté orthodoxe et surtout à la Sorbonne, on dirigeait contre lui. De nouveau les temps étaient sombres pour la libre pensée. Son ami, Ét. Dolet, était en prison, ainsi que Marot ; Des Périers s’était suicidé pour échapper au bûcher ; mais, fort de l’appui royal, Rabelais écrivit en toutes lettres, sous le titre de son nouvel ouvrage, son nom et son prénom, qu’il avait jusqu’alors dissimulés sous l’anagramme d’Alcofribas Nasier.

C’est seulement en 1546 que parut le « tiers-livre » de Pantagruel, aujourd’hui le quatrième de la série. Il semble que cette publication ait eu lieu contre son gré. François Ier était mort. Le parti intolérant avait encore plus beau jeu auprès de son triste successeur Henri II, et Rabelais, menacé, dut se réfugier à Metz, puis à Rome, où le bonheur voulut qu’il trouvât de nouveau un asile