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qui l’étonne et le maintient. C’est ainsi que les aliénés deviennent tranquilles et aptes à tout comprendre dans les premiers jours de leur entrée dans un asile. Un jury qui ne sera pas composé d’aliénistes et d’hommes spéciaux se laissera facilement abuser par les malades les plus violens, car ceux-ci sont presque toujours les plus dissimulés. En dehors de leurs crises, du point précis qui fait surgir la divagation, beaucoup d’aliénés sont gens avec lesquels on peut causer de omni re scibili. Des hommes fort intelligens y ont été pris et ont donné à rire. M. de Villèle reçut un jour la visite d’une femme qui lui exposa, avec un entraînement de langage et un charme inexprimables, certaines idées sur le rôle de la presse dans les gouvernemens constitutionnels. Le ministre, ébloui de tant d’esprit et de logique, entre dans les idées de son interlocutrice, lui fait des promesses pour la création d’un journal dans lequel elle aura la haute main, parle en conseil du projet qu’il va mettre à exécution, et y renonce avec peine lorsqu’on lui démontre, pièces en main, qu’il a eu affaire à une aliénée !

Si la loi de 1838 est appelée à subir de nouveau une discussion législative, il est à désirer, dans l’intérêt des aliénés, qu’elle en sorte avec une consécration éclatante qui, sans mettre fin à des insinuations malveillantes, permettra du moins de continuer l’emploi de mesures dont on s’est jusqu’à présent bien trouvé. On pourra néanmoins, pour donner satisfaction à ce que l’on appelle l’opinion publique, y introduire une modification qui n’en compliquera pas le mécanisme et ne le modifiera pas essentiellement. Plusieurs commissions extra-parlementaires se sont occupées de cette question, qui, comme l’on dit, est à l’ordre du jour. La Société de législation comparée a réuni des hommes graves, magistrats, spécialistes, et elle les a interrogés ; notons en passant qu’à la question posée par le président : avez-vous eu occasion de constater des cas de séquestration arbitraire? il a toujours été répondu : non. L’opinion à peu près unanime des personnes éminentes appelées à émettre un avis a été qu’il serait bon de nommer une commission permanente composée de médecins, de magistrats, de notaires, qui seraient chargés d’aller visiter les aliénés, de les interroger et de faire rapport à l’autorité qui en a charge. Une telle commission serait inoffensive, et peut être créée facilement. Je vais plus loin, il ne serait pas mauvais qu’un des membres de la commission de permanence et un des substituts du petit parquet fussent délégués pour assister les médecins de la préfecture de police dans l’examen des aliènes enfermés à l’infirmerie spéciale; on n’en arrêterait pas un fou de moins, on ne ferait pas une séquestration arbitraire de plus; mais, en ajoutant cette garantie aux précautions que la loi de