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prononce sur le différend immédiatement et en dernier ressort. Toutes ces prescriptions sont suivies à la lettre sous peine d’un emprisonnement de cinq jours à un an et d’une amende de cinquante francs à trois mille francs, ainsi qu’il est dit au titre III, art. 41 de la loi du 30 juin 1838.

Telle est dans son ensemble cette loi préservatrice qui a été attaquée avec tant d’acrimonie sans qu’on ait pu cependant citer un seul fait sérieux, scientifiquement constaté, qui ait porté témoignage contre elle. Après l’avoir discréditée au sénat, au corps législatif, dans la presse périodique, par des brochures, on a demandé qu’elle fût abrogée et remplacée par une autre loi dont le projet a été déposé le 21 mars 1870 par MM. Gambetta et Magnin. L’exposé des motifs déclame plutôt qu’il ne prouve. Les aliénés y deviennent des victimes sacrifiées à la sécurité publique, on y parle de machinations criminelles, et l’on y lit textuellement : « Qui sait si l’on ne craint pas, en ébranlant l’édifice de 1838, d’y trouver le crime sous chaque pierre ? » Il n’y a là en somme que beaucoup d’emphase et une médiocre rhétorique. Les signataires du projet, qui, je crois bien, n’en sont que les endosseurs, récusent les médecins, comme intéressés, récusent les magistrats, sans doute comme incompétens, et veulent qu’un jury spécial, tiré au sort, composé de six membres, décide en plein tribunal s’il est opportun ou non de prononcer l’internement d’un individu présumé aliéné; celui-ci serait défendu par un avocat ou par un avoué. Donc débat contradictoire en présence du fou, après interrogatoire d’icelui, plaidoyer, réplique, résumé, déclaration solennelle des jurés. En vérité l’on croit rêver quand on lit de pareilles élucubrations !

Sans parler ici des suites qu’un tel débat pourrait avoir sur plus d’un cerveau égaré, on peut affirmer que ce mode de procéder est vicieux entre tous, et qu’il entraînerait des erreurs déplorables. Il faut être dans une ignorance absolue de ce que c’est qu’un fou pour ne pas savoir que le monde extérieur, l’objectif qui exerce sur certains aliénés une action surexcitante, produit au contraire chez beaucoup d’autres une sorte de compression qui les rappelle à eux-mêmes et leur donne toutes les apparences de la raison. Il y a alors répercussion du moral sur le physique, comme dans les crises aiguës, dans le délire, dans les hallucinations de toute sorte, il y a répercussion du physique sur le moral. Tel individu qui chez lui, dans son milieu habituel, maison, appartement ou cabanon, s’abandonne à des accès de fureur qui sont plus forts que sa volonté, demeurera calme, paraîtra sensé, trompera l’observateur le plus sagace, si vous le placez en présence de lieux qu’il ne connaît pas, de gens qu’il n’est pas accoutumé à voir, d’un spectacle