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parlemens d’évoquer dorénavant les procès pour cause de sorcellerie. Les bûchers furent éteints; mais, faute de savoir que la démonomanie est une maladie et non un crime, plus de 20,000 individus avaient expié dans les flammes le tort d’être atteints d’aliénation mentale.

Là se ferme l’époque que l’on peut appeler l’ère thaumaturgique de la folie, et l’ère de la répression commence. Nul hôpital pour recevoir les fous, nulle maison pour les soigner, on les enferme où l’on peut, dans les couvens quand ils sont tranquilles, dans les prisons quand ils sont agités; on les enchaîne, on les frappe, ils croupissent sur la paille, on va les voir pour satisfaire une curiosité malsaine, on les excite pour en rire. Les gens qui se piquent de beaux sentimens ne se gênent guère pour s’en amuser. La phrase qui revient si souvent dans les lettres de Mme de Sévigné, et dont Coulanges fit une chanson : « les voyez-vous? — non; — ni moi non plus, » — est une allusion plaisante, mais cruelle, à une pauvre folle détenue dans une communauté religieuse, et à laquelle on rendait visite pour s’en divertir. Il restait bien des choses à faire encore pour arriver à l’idée si simple de soumettre ces malheureux à un traitement scientifique, mais du moins ils gardaient la vie sauve et n’avaient plus à redouter la surexcitation des exorcismes. Les parlemens et le clergé firent un suprême effort pour ressaisir le redoutable pouvoir que Louis XIV leur avait sagement enlevé. A Aix, où le parlement de Provence avait conservé bon souvenir du procès de Gauffridi, on voulut tout à coup évoquer une nouvelle affaire de possession (1731), affaire très triste, d’une moralité douteuse, et dans laquelle on vit qu’un vieux prêtre avait étrangement abusé d’une pauvre fille hystérique, visionnaire, théomane et souvent hallucinée. La fille, qui se nommait la Cadière, était fort à plaindre et tout à fait innocente; on la renvoya dos à dos avec son confesseur. Il n’y eut là nulle terreur, nul appareil trop violent, tout sombra dans le ridicule : on chansonna les deux coupables, on se moqua des parlementaires et des prêtres; nul n’y gagna, ni la justice, ni la religion.

Cet exemple ne fut pas perdu. Lorsque les jansénistes appelans de Paris furent atteints de délire, d’extases, de névropathie, lorsque les scènes du cimetière de Saint-Médard firent croire à quelques bonnes femmes que le diable recommençait à faire des siennes, on se contenta de simples mesures de police pour empêcher le scandale de devenir une cause de trouble public. Pendant dix ans (1731-1741), on laissa les convulsionnaires se mettre en croix à domicile, se jeter la tête en bas, se marcher mutuellement sur la poitrine et se donner des coups de bûche sur l’épigastre, à la