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d’énervation maladive et troublante qui devint si générale qu’elle porte un nom dans l’histoire, la possession des nonnains. Depuis longtemps on avait signalé l’acedia, la maladie des cloîtres qui trouble l’esprit et pousse au suicide. Les ursulines d’Aix, celles de Loudun, d’autres congrégations de femmes dans la Picardie et les Flandres, en furent atteintes, mais bien plus encore les religieuses de Saint-Louis de Louviers (1642), auxquelles toute l’affaire d’Urbain Grandier avait été racontée par le grand pénitencier d’Evreux, qui l’avait suivie aux côtés de Laubardemont. La principale héroïne de cette lugubre histoire s’appelait Madeleine Bavent ; il faut lire sa confession[1].

Jamais cas pathologique ne fut mieux déterminé; c’est la mélancolie accompagnée d’hallucinations, d’illusions du sens du toucher et d’une invincible attraction vers le suicide. Les mouvemens involontaires, les syncopes, les constrictions de l’œsophage, le gonflement du corps, l’impérieux besoin de dire des grossièretés, les gestes indécens, les postures extra-humaines si complaisamment décrites par le capucin Bosroger qui servait d’exorciste, prouvent, sans doute possible, que la folie seule causait tous les phénomènes dont on s’effrayait. Le parlement de Rouen s’en mêla; on déterra le cadavre d’un prêtre qui la nuit venait tourmenter les religieuses, et on le brûla en grande cérémonie. L’église et la justice rivalisèrent de zèle et de sottise; mais on ne guérit personne. La pauvre Madeleine jetée dans un cul de basse fosse, comme bouc émissaire de tous les péchés de la communauté, essaya de se tuer et, quatre heures durant, se tourna et se retourna dans le ventre un long clou qu’elle y avait enfoncé. A cela seul, en dehors de toutes autres preuves, on peut la reconnaître pour une malade frappée d’hystéro-mélancolie. En effet, dans cet horrible mal, — le plus horrible qui existe, — l’amour de la mort est abstrait; tous moyens sont bons pour mourir, les malades déjouent toute surveillance à force d’astuce, de persistance, de volonté, et il est rare qu’elles n’arrivent pas à mettre leur projet à exécution. Si on les interrompt au milieu d’une tentative de suicide, si on les retire de l’eau, si on coupe la corde dont elles s’étranglent, si on les arrache de dessous les roues d’une voiture, on ne trouve pas une pulsation de plus à leurs artères, pas un frémissement, pas l’apparence d’une émotion ; elles restent impassibles et ne témoignent rien que la contrariété d’avoir été sauvées et le désespoir de vivre encore. Une mélancolique aujourd’hui guérie, et qui avait trouvé moyen de s’ouvrir la gorge à

  1. Histoire de Madeleine Bavant, religieuse du monastère de Saint-Louis de Louviers, avec sa confession générale et testamentaire, Paris, in-4o ; Legentil, 1652.