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leurs crises, les névropathiques sont doués d’une agilité et d’une vigueur dont rien ne peut donner idée. Les agitées de Sainte-Anne, prises dans le gilet de force et mises dans les loges de sûreté, coupent avec leurs dents les treillages en fil de fer qui garnissent les fenêtres ; à Bicêtre, il y a peu de temps, un aliéné se débarrasse de sa camisole et démolit sa cellule, qui est en pierres de taille. Actuellement deux pensionnaires de Bicêtre restent des heures entières les yeux fixés sur le soleil, sans que le plus léger tressaillement de la face puisse faire soupçonner qu’ils sont impressionnés par ce flot de lumière ardente ; leur pupille est tellement rétrécie qu’elle est presque invisible, elle ressemble à celle des mangeurs d’opium. Quant à la manie aboyante, c’est un mal fort connu : on l’appelait jadis la maladie de Laïra ; le fils du grand Condé aboyait si fort que l’on s’imaginait qu’il se croyait changé en chien. C’est une simple affection nerveuse qui n’implique nullement une altération des facultés de l’esprit ou de la volonté ; une femme peut rester femme du monde, être fort entendue à ses affaires, et aboyer du matin au soir. Du reste, l’hystérie est la maladie protée par excellence, elle prend toutes les formes, on dirait qu’elle fait effort pour se déguiser afin de n’être pas reconnue. Aussi, chez les pauvres filles du Labourd et de Loudun, elle varie incessamment ses aspects, et, toutes les fois qu’elle revêt une apparence nouvelle, c’est un nouveau diable que l’on découvre ; quand on a nommé Belzébuth, Belphégor, Astaroth, Léviathan et cent autres, quand on a épuisé tout le vocabulaire de la démonologie, on découvre encore des démons jusqu’alors inconnus ; à Loudun, c’est Alumette d’impureté ; à Aix, c’est Verrine qui obéit à Gauffridi, prince des magiciens. Verrine n’était point seul, car Michaelis, un des exorcistes employés dans cette affaire, déclare avoir chassé six mille cinq cents démons et plus du corps d’une des possédées.

Il est un fait connu aujourd’hui et scientifiquement démontré, que les démonophobes avaient remarqué et qu’ils ont exploité au profit de leur croyance. Dans tous les procès, on voit que le premier soin des exorcistes est de rechercher minutieusement sur le corps des possédées et des sorciers ce que l’on appelait alors la marque du diable. On pensait qu’en prenant possession au sabbat de la créature qui se donnait à lui Satan la touchait, et que l’endroit où le doigt crochu avait posé restait insensible à toujours. On bandait les yeux de l’accusé, on le mettait nu, et à l’aide d’une longue aiguille enfoncée dans les chairs on cherchait la place maudite qui le faisait à la fois esclave et maître du démon. Cette place, il faut le dire, on la trouvait très souvent, surtout chez les femmes. Dans cette affection à laquelle je laisserai son mauvais nom gêné-