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indépendantes, les sections employées aux chemins de fer, les « troupes d’étape » destinées au service des communications. Autour de Paris, six corps d’armée, la garde, une division wurtembergeoise, trois divisions de cavalerie, en maintenant un étroit blocus, répondaient de la grande ville assiégée, et les batailles du 30 novembre, du 2 décembre, même en ébranlant les lignes d’investissement, venaient d’en montrer toute la solidité. Après la chute de Strasbourg, le général de Werder, avec ses troupes formant le XIVe corps, avait pu s’avancer à travers les Vosges, rejetant les détachemens français sur Besançon et descendant jusqu’à Dijon, où il était entré le 31 octobre, où il se maintenait, bataillant autour de lui, poussant même des partis jusqu’à Autun. Après la chute de Metz, les forces d’investissement avaient été scindées. Deux corps d’armée, le Ier et le VIIIe prenaient la route du nord sous les ordres du général de Manteuffel, qui réduisait Amiens par les armes le 29 novembre, et cinq jours après allait enlever Rouen sans combat. L’autre partie de l’armée de Metz était celle qui s’était précipitée avec le prince Frédéric-Charles vers la Loire et vers Orléans ; un dernier corps enfin, le VIIe, tiré aussi de Metz, occupait une position intermédiaire à Châtillon-sur-Seine, prêt à se porter vers Paris ou vers Dijon, vers le nord ou sur la Loire.

Voilà quel ensemble de forces on avait à combattre avec des soldats improvisés. On résistait sans doute tant qu’on pouvait à ce redoutable ennemi, on lui infligeait quelquefois des pertes cruelles, on le fatiguait, on l’étonnait, et on allait l’étonner encore ; malheureusement c’était la lutte de la puissance organisée, de la discipline victorieuse, d’une direction unique et supérieure contre la désorganisation, le désordre et l’incohérence des directions.

Au moment où l’armée allemande, perçant les lignes françaises, rentrait à Orléans dans la nuit du 4 au 5 décembre, que devenait cette armée de la Loire engagée depuis quatre jours dans la plus rude et la plus inégale des luttes ? Elle était coupée et dispersée en tronçons épars. Pendant que les stratégistes de Tours livraient indignement à l’iniquité des passions populaires le nom d’un chef d’armée, qu’ils représentaient comme un déserteur quittant le champ de bataille avec 200,000 hommes et laissant le gouvernement « sans nouvelles, » le vieux soldat était occupé à ramener ses troupes ou ce qui lui en restait à travers la Sologne[1]. Il s’efforçait, avec

  1. M. Gambetta, dans sa dépêche du 5 décembre adressée à tous les préfets de France, racontait complaisamment l’histoire d’un voyage qu’il avait fait ou plutôt qu’il aurait voulu faire à Orléans dans l’après-midi du 4 décembre. Il assurait qu’il avait dû s’arrêter en avant de Beaugency, à la hauteur de La Chapelle, la voie étant occupée par un parti de uhlans et couverte de madriers, de telle sorte que la circulation se serait trouvée barrée dès ce moment, — quatre heures et demie. Or il résulte de l’ordre de marche des convois, tel qu’il a été conservé, que la circulation n’a été interrompue qu’après cinq heures et demie entre Orléans et Tours. Le dernier train expédié d’Orléans est parti à cinq heures vingt minutes et est arrivé à destination. C’est attesté par un ordre d’un colonel d’artillerie expédiant le convoi et par l’inspection du chemin de fer. Comment le train portant M. Gambetta n’a-t-il pas pu passer à La Chapelle à quatre heures et demie, lorsque le train d’Orléans parti à cinq heures vingt minutes a pu passer ? C’est là la question. Parlons franchement : M. Gambetta aura entendu la canonnade au loin, peut-être quelques coups de fusil plus rapprochés, et il se sera dit prudemment qu’il se devait à la France, que ce n’était pas son affaire d’aller au feu. Ce n’était pas son métier, rien n’est plus vrai, et de fait on ne l’a pas vu un seul instant dans une affaire quelconque, auprès d’un des généraux ; mais ce n’était pas non plus son métier de prétendre diriger des opérations auxquelles il n’entendait rien. Ce n’était pas surtout son droit d’accuser ceux qui étaient devant l’ennemi, d’insulter ou de laisser insulter des chefs militaires que les plus graves blessures se défendaient pas quelquefois contre les plus indignes outrages.