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gieux néant moral et politique. Des intérêts du pays, des moyens positifs et pratiques de relever la France, il n’en est même pas question. M. Gambetta a-t-il seulement essayé d’exciter l’intérêt de ceux qui l’écoutaient en leur parlant de nos véritables affaires, de nos préoccupations les plus pressantes ? Il n’y a pas songé, et les autres orateurs radicaux n’y ont pas songé plus que lui. Des banalités reientissantes, des menaces, des instincts de sédition, des déclamations laborieuses, c’est là le résumé de cette campagne radicale entreprise pour la vraie république, et dans ce concert assourdissant il n’y a pas jusqu’à ce vieux Garibaldi qui, du fond de son île, ne vienne jeter sa voix enrouée ! Garibaldi n’est pas content du tout de la France et de M. Thiers en particulier. Il trouve que M. Thiers est un tyran qui leurre la France avec de vieilles idées de gloire, et qui par ses armemens contraint l’Europe entière à rester armée. Garibaldi, en bon radical, nous souhaite de ne pas donner d’ombrage à M. de Bismarck et de reprendre la commune. Que nous veut ce bonhomme ? N’a-t-il pas assez de faire de la politique dans son île de Barataria ? Celui-là aussi en sera-t-il de la vraie république ? Eh bien ! si c’est de cette façon qu’on prétend la fonder, la république, il faut le dire une bonne fois pour que nous soyons fixés, nous tous qui, au milieu des agitations et des malheurs de notre pays, avons gardé l’inviolable habitude de mettre au-dessus de tous les partis ces deux choses sacrées entre toutes : la France et la liberté.

Les spectacles de la politique ne sont peut-être pas nombreux aujourd’hui en Europe, mais ils sont toujours instructifs, ne fût-ce que par les étranges coïncidences qui se produisent, par ce contraste qui éclate parfois entre le fracas de certains incidens et la modeste simplicité de certains faits qui n’ont pourtant pas moins de valeur morale. Il y a quelques jours à peine, trois empereurs se trouvaient réunis solennellement à Berlin ; leur rencontre avait été célébrée d’avance comme un de ces événemens qui font époque. Que reste-t-il maintenant de cette entrevue ? Les illuminations et les feux de Bengale sont éteints, les souverains se sont séparés, et le résultat politique n’est peut-être point tel décidément qu’il doive inaugurer cette ère nouvelle prophétisée par les journaux allemands. Le comte Andrassy, dans les explications qu’il a données récemment aux délégations autrichiennes réunies à Pesth, n’a pas dévoilé le grand mystère. Le prince Gortchakof ne semble pas fort pressé d’illustrer l’entrevue de quelque circulaire de sa façon. M. de Bismarck s’est borné jusqu’ici à un mot adressé en passant à un bourgmestre qui lui portait un diplôme de citoyen de Berlin. Chose étonnante ! est-il bien sûr qu’on soit plus avancé aujourd’hui qu’il y a un mois, et même qu’on se soit quitté avec une satisfaction sans mélange de part et d’autre ? On s’est promis assurément de maintenir la paix, de ne soulever aucune question dangereuse, et par une circonstance bizarre de