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l’ancien monde, sans la religion que l’empire reçut au premier siècle, et qu’il donna aux envahisseurs? Les Germains eux-mêmes, auxquels on prête tant de vertus imaginaires, n’ont dû qu’aux Latins la force de dépouiller le vieil homme, le bonheur de créer une nationalité nouvelle et féconde. C’est le propre des Latins d’avoir porté la vie autour d’eux ; une fois le flambeau allumé, chaque nation a eu ses destinées, des caractères propres et originaux, souvent des qualités supérieures à celles des Latins eux-mêmes, mais les Latins ont été les initiateurs. La race ne fait pas tout, on le voit bien ici; la race peut être bonne, courageuse, active, ouverte aux idées de progrès, douée d’imagination, du sentiment de l’art; elle peut rester obscure et misérable, si la fortune pour elle est trop dure, si elle ne lui donne pas ces secours qu’elle prête à tous ceux qui doivent connaître les bienfaits d’un développement rapide. Le temps des souffrances cruelles est fini pour ces peuples. Ce que le moyen âge ne pouvait leur procurer, l’Europe le prodigue aujourd’hui: sous cette influence, les Slaves du sud ouvrent les yeux. Cette race réfléchie et froide, capable de si longs sommeils, éprouve des enthousiasmes d’autant plus forts qu’ils se produisent plus lentement; ce n’est pas un feu qui brille d’un éclat éblouissant et s’éteint, c’est une chaleur intime qui pénètre tout l’être, qui en prend possession, que rien ne refroidit ensuite. Qu’elle croie à ses destinées, que les rêves populaires, que les théories de ses politiques imaginent tantôt l’Autriche se décidant à chercher au sud chez ces populations un appui qu’elle ne trouve plus au nord, ou quelque conquérant réunissant par la victoire ce que les siècles ont divisé : il se peut que ce soient là à cette heure des utopies. Ce qui n’est pas chimérique, c’est de créer des écoles, des universités, de ramener les dialectes d’une langue à l’unité, de retrouver l’histoire oubliée, de forcer le sol à donner tout ce qu’il peut produire. L’instruction et la richesse, une nationalité nouvelle ne saurait se passer de ces deux bienfaits. Les Slaves du sud peuvent dire aujourd’hui qu’ils leur sont assurés. Ils savent que le sentiment de l’indépendance chez eux est invincible, qu’aucun adversaire ne les en dépouillera; ils s’exercent à la pratique des libertés municipales, où le bien immédiat est compris par tous, et qui formera mieux que toutes les théories des esprits vraiment politiques. Les épreuves ne leur manqueront pas ; mais ils ont le sang jeune, l’énergie virile, ils naissent à la vie, ils sont dans l’âge heureux des longs espoirs et des vastes pensées.


ALBERT DUMONT.