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combattent contre des lions, conduisent des chiens en laisse, rivalisent à la course de chars. A quelques pas plus loin est un second édifice de forme rectangulaire; il a été considéré longtemps comme une chapelle dédiée à Esculape, dieu qu’invoquait de préférence l’empereur malade, las de tout, et cependant entouré de devins qui devaient le préserver de la mort. Un antiquaire, M. Lanza, a cru récemment pouvoir y reconnaître le mausolée du prince. La décoration n’en est pas moins riche que celle de la rotonde. Cet art est encore imposant et luxueux; des rinceaux élégans, des feuilles d’acanthe, rappellent la belle époque; mais des attributs orientaux, des figures mystérieuses et bizarres, montrent combien l’architecture gréco-romaine a subi l’influence de l’Asie; la pierre est ciselée de broderies sans nombre, comme sur les monumens romains de Balbeck et de Laodicée, de toute la Syrie. Une vaste cour intérieure, entourée d’une colonnade corinthienne, sépare les deux édifices; c’était l’entrée de l’atrium, dont les belles proportions rappellent ce que l’empire nous a laissé de plus majestueux. Ces ruines, qui ont échappé à la destruction, occupent un coin du palais. Dans le reste de la demeure impériale, on ne trouve plus que des soubassemens, de grandes voûtes, les vestiges, méconnaissables pour qui ne les étudie pas longtemps, de ces bâtimens où logeaient les serviteurs du prince et toute une armée. Il n’est pas besoin de chercher à reconstruire les mille détails de l’édifice pour comprendre ce qu’il était. Nous avons devant nous un palais romain, le plus complet, le plus grand que l’empire nous ait laissé, et à ce titre quel prix n’a-t-il pas pour l’historien ! mais ce monument est aussi et surtout une forteresse du moyen âge. Les temps anciens sont finis; la paix impériale n’est plus qu’un mot. Le prince le plus puissant, s’il veut quelques heures de sécurité, doit mettre entre lui et les barbares ces murailles énormes, ces tours, ces créneaux, tout cet appareil de défense.

Au milieu du XVIIIe siècle, l’Anglais Adam et le Français Clérissau visitèrent la Dalmatie; ils relevèrent le plan du palais; ils lui ont consacré un grand ouvrage in-folio où, s’aidant de Vitruve, ils retrouvent les quatre cents chambres de la demeure impériale, triclinium, tepidarium, salles d’hiver, salles d’été, appartement des gardes[1]. Notre compatriote Cassas, sous le consulat, reprit le même travail. Il était sensible à la grandeur, comme il le dit lui-même; il décrit dans son voyage[2] «ces bains spacieux où la volupté romaine délassait les grâces et la beauté, la paille infecte où la Dal-

  1. Ruins of the palace of the emperor Diocletian at Spalatro in Dalmatia. Londres 1764.
  2. Voyage pittoresque de l’Istrie et de la Dalmatie, in-folio, Paris 1802, Pierre, Didot l’aîné.