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serrées dans un pantalon collant qui s’arrête aux genoux, les pieds chaussés de l’opanké, morceau de cuir de bœuf noué avec lanières, la petite veste aux manches flottantes sur les épaules, la toque de soie rouge sur la tête, il semble être un personnage détaché des tableaux vénitiens; tels sont quelques-uns des jeunes nobles de la légende de sainte Ursule peinte par Carpaccio. Les costumes des femmes présentent une plus grande variété; chaque canton, chaque village a le sien. Tous cependant ont des caractères communs, et cette remarque est vraie non-seulement de la Dalmatie, mais de la péninsule du Balkan presque tout entière. La robe étroite, faite de toile blanche, serre les jambes et se rétrécit parfois vers le bas au point d’empêcher toute marche rapide; un tablier brodé de laine verte, rouge, bleue, épais comme un tapis, est attaché à la ceinture. Une large bande de cuir, relevée d’ornemens d’or et d’argent, serre la taille; des sequins ornent la tête qu’enveloppe un voile. Ce costume est très ancien et sans doute antérieur à l’arrivée des Slaves dans le pays. Une charmante statuette de bronze, trouvée récemment à Scutari d’Albanie, œuvre précieuse d’un artiste grec du VIe siècle avant notre ère, représente une prêtresse qui porte la robe, la ceinture et le tablier des paysannes de Dalmatie.

L’autorité des vieillards, le respect de la famille et de la femme, la solidarité des habitans d’un même village, le caractère sacré des amitiés, la vengeance devenue une loi, la cruauté sans merci quand le paysan est offensé, en toute autre occasion une grande douceur, parfois des délicatesses de sentiment qui paraissent trop tendres pour ces rudes natures, l’esprit vif, prompt aux réparties, mordant dans la critique, l’attachement le plus solide aux vieilles mœurs, peu d’aptitude pour le travail modeste de la terre, la passion des armes et du danger, tels sont quelques-uns des traits du caractère dalmate. C’est surtout dans les montagnes, en particulier dans le district de Cattaro, que cette race garde toute sa jeunesse. Quant aux autres parties de la province, le gouvernement autrichien a fini par y établir une administration régulière. Dans la circonscription des Bouches, il a dû transiger avec ces montagnards, qui du haut de leurs rochers se riaient des canons et des soldats. Après six mois de lutte, lors de la dernière insurrection qui est à peine terminée, force a été de suspendre l’application au pays de la loi de recrutement.

On retrouve encore dans cette partie de la Dalmatie de vieux usages qui ont disparu depuis longtemps du monde slave, le serment et jugement du sang par exemple. Le serment du sang, karva-tajstvo, est la vendetta d’un village contre un village, mais sanctifiée par la religion. L’administration a l’ordre de n’intervenir qu’avec réserve dans ces démêlés des habitans entre eux, d’amener sans sévir des