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raisons décisives, surtout si on les prend dans leur ensemble, on ajoutera que, quoi que prétende à cet égard M. Mill, les femmes n’ont aucun intérêt sérieux à voter, qu’elles ont d’autres manières d’exercer leur influence soit dans les questions qui les touchent particulièrement, soit dans les intérêts généraux. On s’arrêtera devant ce péril de créer dans les ménages une source de divisions redoutables. Enfin comment ne pas reculer devant une dernière conséquence? La femme électeur, cela est de la dernière évidence, ne signifie rien, si l’éligibilité ne s’y joint. Il faut donc des corps représentatifs de femmes. Seront-ils confondus avec les hommes? seront-ils distincts? Le ridicule ici est plus qu’un jugement superficiel de pareilles combinaisons ; il accuse à fond l’erreur des principes. Si les femmes se comportent politiquement de manière à ne faire que doubler pour ainsi dire les hommes en prenant leur mot d’ordre, où est la nécessité de les faire électeurs et députés? Si elles doivent agir contrairement, quel péril ! Ni la famille ni l’état n’y résisteraient. Cela ne serait pas même à discuter, si des noms comme ceux de Condorcet, de Sieyès, de M. Mill, ne commandaient l’examen et n’appelaient la réfutation. Il y a un mot connu en Angleterre, c’est que le parlement peut tout, excepté faire d’un homme une femme, et réciproquement. C’est à quoi ne réussira pas non plus la campagne émancipatrice. En vérité, le tort de M. John Stuart Mill n’est-il pas d’avoir écrit un livre pour ainsi dire sans sexe? Est-ce bien en réalité des femmes qu’il y est question? Nulle allusion à leur qualité de filles, de mères, d’épouses. Ces noms n’y sont même pas prononcés. On croirait qu’il s’agit non d’un sexe différent, mais d’une race opprimée, probablement d’une variété de l’espèce qui, moins robuste, est tenue dans la sujétion par une variété plus vigoureuse, fort méchante, et qui unit aux plus pervers instincts les plus noirs calculs. Elle a ourdi en effet, cette race aussi astucieuse que cruelle, le plus savant complot pour soumettre la variété plus faible à un joug éternel. Elle a eu l’art perfide d’inspirer à cette variété subordonnée l’idée de sa propre infériorité. Elle entretient chez elle une ignorance systématique qui l’empêche de raisonner et n’en fait qu’une variété gracieuse, si l’on veut, un jouet aimable, un agréable instrument de sociabilité. C’est ainsi qu’il y a des gens qui crèvent les yeux au rossignol pour qu’il chante mieux. De quel côté sont les préventions, les appréciations fausses dont les émancipateurs accusent leurs adversaires? On peut sans doute en juger maintenant avec connaissance de cause.


III.

Les émancipateurs sont-ils plus forts lorsqu’ils veulent réformer le droit civil et la situation faite aux femmes dans les emplois in-