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en faveur de la liberté du mariage, tout en protestant que cette liberté profitera au mariage lui-même, qu’enfin le même écrivain constitue sur des bases toutes neuves l’héritage du nom, qui viendra de la mère, et celui des biens, qui relèvera de la liberté testamentaire la plus absolue; nous n’entrerons pas dans ce débat, plus paradoxal des deux côtés qu’il ne paraît être lumineux et concluant. La formule théorique sur laquelle repose l’idée émancipatrice nous est donnée par un livre consacré tout entier à la présenter et à la défendre. Le nom de l’auteur, si ce n’est toujours le mérite des argumens, suffit à commander l’attention. Il s’est fait quelque bruit à propos de ce livre. Les partisans de l’émancipation féminine le vantent beaucoup; il leur semble qu’ils ont trouvé la base philosophique qui trop souvent manque à leur doctrine. Le jugement que nous allons essayer d’en porter donnera la mesure de l’estime que nous accordons à l’idée, émancipatrice elle-même, en ce qu’elle a de fondamental.


II.

C’est sans étonnement que nous trouvons le nom de M. John Stuart Mill mêlé à la question de l’émancipation des femmes. Tout le monde sait quelle est la valeur de M. John Stuart Mill comme économiste. Ses travaux comme philosophe et comme publiciste possèdent aussi une légitime renommée. Nous nous croyons pourtant en droit d’adresser une critique essentielle à M. Mill; il n’est pas suffisamment moraliste. En politique, en économie sociale, il abuse des méthodes abstraites. Que cela ne l’empêche point de rencontrer de grandes et fécondes vérités, nous le reconnaissons volontiers; mais souvent le manque d’observation morale le conduit à l’erreur. Ce vigoureux esprit est trop souvent faux. On sait les étranges complaisances de M. Mill pour le communisme et pour les différentes écoles de socialisme. Un moraliste se formerait une tout autre idée de la permanence du rôle de la propriété personnelle. Il verrait d’immortels instincts, des besoins durables où M. Mill ne reconnaît que des combinaisons purement contingentes. M. Mill vient d’écrire sur l’assujettissement des femmes un livre où les différences de sexe se perdent dans l’unité du type. Bien plus, ce qui semble étrange, ces différences sont niées systématiquement. Celles que nous sommes habitués à regarder comme les plus essentielles sous le rapport intellectuel sont présentées comme étant probablement toutes factices par l’auteur. Elles sont un résultat de l’éducation, le simple effet de la civilisation, il faudrait dire plutôt d’une barbarie dans laquelle la force n’a cessé de dominer et domine encore.

M. Mill soutient la thèse de l’égalité intellectuelle des deux sexes