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l’avait fait arrêter et jeter par la fenêtre, personne n’aurait bougé et tout eût été dit. Le roi l’aurait puni flagrante delicto; mais, au lieu d’agir en prince courageux et outragé, le roi s’était enfui et retiré à Chartres; il s’était ensuite réconcilié avec le duc de Guise et avait traité avec lui; il l’avait appelé dans son conseil et admis publiquement dans son intimité; après de telles démonstrations, l’appeler dans sa chambre royale et l’y faire massacrer était un homicide scandaleux et un abominable guet-apens. Toutefois Sixte-Quint voulait s’abstenir de prononcer d’autorité sur l’acte d’un souverain envers un de ses sujets; mais en ce qui touchait le meurtre du cardinal de Guise, le pape croyait avoir un grand devoir à remplir; ce meurtre était un sacrilège, un attentat contre la pourpre romaine, et il le voulait punir d’une censure exemplaire. Comme le cardinal de Joyeuse allait répondre à tous ces griefs, le pape lui coupa la parole.

Poursuivant son dessein d’infliger un châtiment public à l’assassinat de Blois, Sixte-Quint assembla le consistoire le 9 janvier, et aucune supplication des Français ne put l’en détourner. A l’ouverture de la séance, un silence profond et solennel s’établit dans la salle. Visiblement ému, le pape fut longtemps sans parler. Enfin il s’écria : « C’est avec une douleur indicible que nous vous annonçons un crime inoui, le meurtre, le meurtre, le meurtre de l’un d’entre vous, tué sans procès, sans jugement, contrairement à toutes les lois et sans accusation préalable devant le saint-siège. » Continuant son allocution et laissant à l’écart le fait du duc de Guise, le pape proclama le droit et le devoir de procéder canoniquement contre le meurtrier du cardinal, puis il parla durement de la notification qui lui avait été faite de l’événement par une dépêche annonçant l’oubli de tout sentiment moral, et son indignation éclata quand il exposa que le roi, dans cette lettre, prétendait avoir suivi son exemple et ses conseils. Il cita l’histoire ancienne et moderne et termina par une sortie véhémente contre quelques cardinaux qui, oublieux de leur dignité, avaient tenté en sa présence d’excuser un tel crime. Le cardinal de Joyeuse, à qui ces paroles s’adressaient, se leva pour répondre; mais le pape, d’une voix altérée, lui ordonna de se taire et de s’asseoir, et, comme le cardinal restait debout et paraissait insister, le pape le chassa de la salle.

Tel fut l’effet produit à Rome par la nouvelle de l’assassinat de Blois.


CH. GIRAUD, de l’Institut.