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que le roi, bloqué par le peuple en armes, sérail obligé d’invoquer sa protection, comme on l’avait implorée pour sauver la vie aux soldats royaux vaincus et prisonniers. Sans mettre la main sur le dernier des Valois, comme avait fait Hugues Capet pour le dernier des Carlovingiens, il aurait obtenu les mêmes avantages, et les états-généraux, dont la convocation était universellement réclamée, auraient complété l’œuvre par une déposition en bonne forme. Cette idée de déposition était dans tous les esprits. On avait l’exemple de l’Angleterre déposant Henry VI, de l’Allemagne déposant Wenceslas; on avait l’autorité des docteurs catholiques et l’opinion populaire soulevée contre Henri de Valois, lequel, en laissant la place à l’émeute des 12-13 mai, sauva l’ombre de royauté qui lui restait. Mendoza écrivait de Paris, le 15 mai 1588, à Philippe II : « L’abcès n’a pas crevé comme on s’y attendait, mais les choses demeurent dans un si mauvais état qu’il sera difficile d’y apporter remède... Mucius (c’est le nom sous lequel la correspondance espagnole désigne le duc de Guise) est tellement occupé que nous n’avons pas eu le temps de nous voir[1]. »

Il avait fort à faire en effet. Cette masse inconsistante de population mutinée, les étudians de l’Université, les ouvriers des ports, le bas peuple des halles, les femmes excitées par les moines, les moines eux-mêmes qui avaient fait les barricades, donnaient le spectacle d’un triomphe assez ignoble; le duc n’était pas maître de contenir leurs excès, et la bourgeoisie, qui avait laissé faire, commençait à craindre pour sa sûreté, car il suffisait d’être signalé, dénoncé huguenot, pour être massacré. Le parlement, très influent dans la ville, était en permanence, et appuyait le tiers-parti, les politiques, déjà fort accrédités, qui finirent cinq ans plus tard par dominer la situation et mettre un terme à la crise. Le duc de Guise vint au palois pour gagner la magistrature à sa cause. Le premier président, Achille de Harlay, le foudroya par la fameuse apostrophe ; « C’est grand pitié, monsieur, quand le valet chasse le maître, etc.,» dont le duc resta comme interdit. Le pouvoir royal était d’ailleurs encore debout en la personne de Catherine de Médicis, demeurée courageusement dans Paris, investie du mandat de son fils. La justice continuait à s’y rendre au nom du roi en vertu d’instructions parties de Chartres où les principaux de la ville allaient assez librement prendre des ordres[2]. Une femme, un juge, le bon sens revenu dans les esprits, tenaient donc à son tour en échec Henri de Guise, qui s’était arrêté à mi-chemin de la révolte sans en avoir le

  1. Voyez M. de Croze, loc. cit., Append. du deuxième vol., p. 337. — Les autres dépêches de Mendoza que nous citons plus loin sont tirées du même Appendice.
  2. Voyez le Journal de Lestoile, édit. de Champollion, t. Ier, p. 251 et 255, et 256 l’affaire de Perreuse.