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envie de ces rois (Henri III et Catherine), il se soit mis de la partie pour faire échouer la négociation, et c’est ce que feront les autres, désireux d’attirer le pape de leur côté. Celui-ci serait très fier d’ailleurs d’être l’instrument de cette œuvre, en sorte qu’il est possible que cette considération l’emporte chez lui sur toutes les autres, et qu’il tâche d’entretenir les espérances que donne la difficile conclusion et la plus difficile conservation de cette union. Il serait très utile que votre majesté montrât dans cette affaire de la déférence pour le pape, avant que l’autre partie puisse le faire. Le contraire ferait beaucoup de mal à nos intérêts et serait considéré comme une offense à sa sainteté. Quant au secret, on ne doit pas y songer dans les négociations avec les Français, ainsi que votre majesté le sait mieux que personne[1]. »

Olivarès connaissait bien les hommes et les choses. La rouerie des Vénitiens lui était familière, et il avait des épies partout pour déjouer leurs manœuvres. Ces derniers craignant en effet la prépondérance de Philippe II, et avertis par Morosini, leur compatriote, envoyé du pape à Paris, négociaient de leur côté une ligue particulière avec le roi de France, et travaillaient à obtenir l’adhésion du pape à cette combinaison. Olivarès cite son témoin à Philippe II : c’était le cardinal Alessandrino, bien informé, paraît-il. « Ce cardinal, dit-il, apprécie comme tout le monde la sincérité du pape. Il en a fait l’expérience dans sa propre personne, et par ce qu’il a vu quand il était dans les affaires. J’attends aussi peu, et peut-être moins que lui, du caractère de sa sainteté ; mais je ne pense pas qu’à moins de juger l’occasion parfaitement sûre, il ait le courage d’embrasser un parti qui pourrait lui donner des embarras et l’obliger à dépenser son argent. » À quoi Olivarès ajoute ces mots dignes de remarque chez un Espagnol de ce temps-là : « D’autant plus que, par ce qui se fait contre l’Angleterre, il (Sixte-Quint) a satisfait à un appétit commun aux papes, à ce désir qu’ils ont de s’associer à quelque grande entreprise, sans s’enquérir toujours autant qu’ils devraient du mérite de l’affaire. » L’ambassadeur termine sa dépêche par aviser le roi qu’il a sur-le-champ écrit au ministre d’Espagne à Paris, Mendoza, lui recommandant d’avoir les yeux ouverts sur l’intrigue signalée, attendu qu’elle ne peut être utilement surveillée, encore moins dépistée à Venise, où l’Espagne n’a qu’un agent incapable.

L’année 1588, où se passaient tous ces événemens, est une des plus mémorables dans l’histoire de nos guerres civiles. Une ligue particulière s’était formée à Paris, en 1585, et avait abouti à l’éta-

  1. Toutes ces dépêches sont tirées du troisième volume de M. de Hübner, entièrement consacré aux correspondances.