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retrouvons dans toutes les provinces, dans la Normandie, la Bretagne, l’Anjou, le Poitou, l’Angoumois, la Saintonge, la Touraine, la Marche, le Nivernais, le Bourbonnais, les deux Bourgognes, l’Orléanais, le pays Chartrain, la Champagne, la Picardie, le Dauphiné, la Guyenne, à l’est et à l’ouest, au centre et au midi. «L’association de tous les membres de la famille sous un même toit, sur un même domaine, dit M. Troplong, pour mettre en commun leur travail et leurs profits, est le fait général, caractéristique, depuis le midi de la France jusqu’aux extrémités opposées. La géographie coutumière en conserve les traces dans les provinces les plus opposées d’usages et de mœurs.» On peut donc dire que, sous l’ancien régime, le travail agricole était exécuté dans toute la France par des associations coopératives de paysans, exactement comme il l’est encore aujourd’hui chez les Slaves méridionaux.

Quand et comment les communautés de familles ont-elles disparu? On l’ignore. Les changemens profonds dans l’organisation sociale des campagnes se sont toujours opérés insensiblement et sans attirer l’attention des historiens. A partir du XVIe siècle, les juristes se montrent moins favorables et même plus tard hostiles au régime de l’indivision. Dès que l’esprit de fraternité qui en faisait la base venait à s’affaiblir, ce régime donnait lieu à beaucoup de difficultés et de contestations, parce qu’il reposait sur la coutume et non sur un acte écrit. Il rencontrait deux causes de ruine, l’une dans l’esprit d’individualité qui caractérise les temps modernes, l’autre dans ce goût de la clarté et de la précision en matière juridique que les juristes contractaient dans l’étude du droit romain. D’autre part, la disparition successive du servage et de la mainmorte enlevait à ces associations une de leurs plus puissantes raisons d’être. Tant que les serfs et les gens de mainmorte n’héritaient que dans l’association familiale, ils ne pouvaient sortir du régime de la propriété collective; mais, dès que les droits du seigneur se bornaient à recevoir, sous la forme de diverses prestations, l’équivalent de la rente, les paysans pouvaient se laisser aller à cet esprit d’individualisme qui les poussait à se rendre, par le partage, propriétaires indépendans. Les progrès de l’industrie, l’amélioration des routes et l’extension des échanges portèrent aussi les populations rurales à se mouvoir et à jeter les yeux au-dessus d’elles, et ces aspirations nouvelles devaient être funestes à des institutions faites pour abriter des cultivateurs soumis aux règles invariables des antiques coutumes.

Les communautés de familles ont duré depuis les premiers temps de la civilisation jusqu’à l’époque moderne. Quand le besoin de tout changer, de tout améliorer, s’est emparé des hommes, elles ont peu à peu disparu avec les autres traditions des époques anté-