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pour prévenir le résultat du mauvais esprit inculqué à cette jeunesse[1]. » Berthier écrivit de Dessau aux professeurs de Halle pour leur annoncer que les revenus de l’université étaient confisqués. Les savans, disait-il, ne devaient pas s’occuper de politique : ils n’avaient d’autre mission que de cultiver et de propager les sciences; ceux de Halle ayant méconnu leurs devoirs, l’empereur avait résolu de supprimer l’université. Les professeurs, appelés en conseil, furent désagréablement surpris de cette communication. Quelques timides proposèrent de s’excuser auprès de l’empereur et de lui faire dire qu’on n’avait jamais eu de sentimens hostiles à son égard. Steffens protesta, déclarant que l’ennemi n’avait pas de compte à leur demander sur leurs sentimens. Halle se trouva ainsi deux fois ruinée, par le combat du 17 et la décision du 19 octobre. Les étudians, arrachés à leurs professeurs et peu fournis d’argent pour la plupart, se dispersèrent sur toutes les routes de l’Allemagne. Napoléon devait en 1813 en rencontrer plus d’un sur son chemin.

Une ville ainsi traitée devait être suspecte. Quand éclatèrent les troubles de la Hesse, le général qui gouvernait Erfurt reçut l’ordre de prendre des otages. Le professeur Niemeyer, le sénateur Kefstein, le riche major von Heide, furent emmenés à l’intérieur de la France, d’où ils ne revinrent qu’après Tilsitt[2]. Nous retrouverons les deux premiers dans le corps législatif du roi Jérôme.

C’est ainsi que les provinces du futur royaume de Westphalie furent pacifiées par le régime militaire, et que les gouverneurs-généraux de Cassel, de Brunswick, d’Erfurt, assurèrent le paisible avènement de Jérôme Bonaparte.


II.

Dès le 7 juillet 1807, Napoléon écrivait confidentiellement à son frère pour lui annoncer qu’il allait être reconnu roi de Westphalie. Sa lettre se terminait par ces mots : « mon intention d’ailleurs, en vous établissant dans votre royaume, est de vous donner une constitution régulière qui efface dans toutes les classes de vos peuples ces vaines et ridicules distinctions. » Ainsi, quelque abâtardis que fussent entre les mains de l’empereur d’Occident, du fondateur de la noblesse nouvelle, les principes égalitaires de 1789, il voyait encore dans la propagation de ces doctrines l’origine, la raison d’être, l’excuse de ses conquêtes. Pour tant de guerres sanglantes, pour tant de peuples foulés, pour tant de dynasties renversées, il croyait

  1. Correspondance de Napoléon Ier, t. XIII, p. 460.
  2. Sur toute cette affaire de Halle, voyez Steffens, Was ich erleble (10 vol., Breslau 1840-4:), t. V.