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de sa fortune une si haute idée qu’elle avait inventé un cérémonial à son usage. Lorsque les membres de la famille royale venaient lui faire visite, elle les recevait debout pour éviter par cette apparente déférence de leur offrir des sièges et les forcer à se tenir eux-mêmes debout devant elle.

Dans un pays monarchique, comme l’était la France, et vaniteux, comme il l’est encore et le sera toujours, même en démocratie, les exemples donnés par la cour ne pouvaient manquer de réagir profondément sur les mœurs publiques. Les femmes imitaient les favorites dans les prodigalités de leur luxe. Au XVe siècle, les bourgeoises de Paris s’étaient laissé ensorceler par Agnès Sorel, et voulaient lutter d’élégance avec elle. Sous François Ier, elles portaient, comme la Féronnière, des bandeaux de perles sur le front ; sous Louis XIY, elles portaient des fontanges. Les hommes à leur tour imitaient les rois dans le désordre de leur vie privée. De longues habitudes d’obéissance avaient si bien façonné la nation à tout subir et à tout accepter, que la superstition monarchique, qui élevait les rois au-dessus de tous les devoirs et de tous les droits, faisait descendre le respect jusqu’aux favorites. On murmurait bien parfois contre leurs prodigalités, on leur attribuait le doublement des tailles ; quelques Parisiens frondeurs passaient devant Agnès sans lui faire la révérence. Jean Vouté publiait des épigrammes latines contre Diane de Poitiers. On chantait des chansons grivoises sur l’air de Mlle de La Vallière, et quand la Pompadour passait, pour l’inaugurer, sur le pont d’Orléans bâti par l’ingénieur Huyot, qu’on accusait de n’avoir fait qu’un ouvrage sans solidité, la France entière répétait ce quatrain, l’un des plus mordans qu’ait produits l’esprit satirique du XVIIIe siècle :

Censeurs, Huyot est bien vengé ;
Reconnaissez votre ignorance.
Son pont hardi a supporté
Le plus lourd fardeau de la France,


Mais les quatrains, les chansons et les épigrammes se perdaient au milieu des adulations. Les villes, pour gagner les bonnes grâces du souverain, tenaient à se ménager celles des reines de hasard. Lorsque Diane de Poitiers et Henriette d’Entragues se rendirent à Lyon, cette antique métropole, qui s’honorait d’avoir vu couler le sang des premiers martyrs de la Gaule chrétienne, les reçut en grande pompe avec le cérémonial des entrées solennelles ; au XVIe siècle, comme au XVIIIe les poètes de l’église, le cardinal Du Perron, le cardinal de Bernis, l’évêque Berthault, l’abbé Desportes, les poètes de la cour et de la province, Guillaume du Sable, Jacques