Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui restait le dernier de la communauté. » C’est donc seulement au sein de l’association que la famille serve arrivait à la propriété, et trouvait le moyen d’améliorer sa condition en accumulant un certain capital. Grâce à la coopération, elle acquérait assez de force et de consistance pour résister à l’oppression et aux guerres incessantes de l’époque féodale. D’autre part, les seigneurs trouvaient un grand avantage à avoir comme tenanciers des communautés plutôt que des ménages isolés : elles offraient bien plus de garanties pour le paiement t’es redevances et pour l’exécution des corvées. Comme tous les membres de l’association étaient solidaires, si l’un d’eux faisait défaut, les autres étaient obligés de s’acquitter des prestations auxquelles il était tenu. C’est exactement le même principe, la solidarité des travailleurs, qui a permis l’établissement des banques populaires auxquelles se rattache le nom de M. Schulze-Delitsch. On ne peut escompter les promesses d’un artisan isolé parce que les chances de perte sont trop grandes; mais associez un groupe d’ouvriers, établissez entre eux une responsabilité collective appuyée sur un capital que l’épargne aura constitué, et le papier de l’association trouvera crédit aux meilleures conditions, parce qu’il présentera pleine garantie. Les documens du temps nous montrent partout les seigneurs favorisant l’établissement ou le maintien des communautés, «La raison, dit un ancien juriste, qui a fait établir la communion entre les mainmortables est que les terres de la seigneurie sont mieux cultivées et les sujets plus en état de payer les droits du seigneur quand ils vivent en commun que s’ils faisaient autant de ménages. » Souvent les seigneurs exigent, avant d’accorder certaines concessions, que les paysans se mettent en communauté. Ainsi, dans un acte de 1188, le comte de Champagne n’accorde le maintien du droit de parcours que « si les enfans habitent avec leur père et vivent à son pot. » En 1545, le clergé et la noblesse font rendre un édit qui interdit aux cultivateurs sortant de la mainmorte de devenir propriétaires de terres, s’ils ne s’y constituent pas en communauté. Jusqu’au XVIIe siècle dans la Marche, les propriétaires font de l’indivision une condition de leurs métayages perpétuels[1].

L’organisation de ces communautés reposait sur les mêmes principes que la zadruga serbe. L’association exploitait une terre en commun et habitait une même demeure. Cette demeure était vaste ou composée de plusieurs bâtimens annexés, en face desquels s’élevaient les granges et les étables. Elle s’appelait cella, celle, et ce nom est resté sous différentes formes à une foule de villages, comme

  1. Pour les sources, nous renvoyons spécialement le lecteur aux trois ouvrages déjà cités de MM. Dareste de La Chavanne, Doniol et Bonnemère, ainsi qu’aux livres de Troplong sur le Louage et le Contrat de société.