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où l’escroc tonsuré dont elle avait fait le ministre de la banqueroute, l’abbé Terray, supprime d’un seul trait de plume 20 millions de rentes annuelles, et met la main sur les tontines et les dépôts judiciaires.

Ce n’était point seulement par les sommes qu’elles touchaient en espèces, par les présens et les fêtes que les favorites contribuaient à ruiner le trésor, c’était aussi par les dépenses de toute nature dans lesquelles elles entraînaient indirectement les rois. La manie de bâtir qui signale le règne des derniers Valois et des Bourbons s’exerce surtout à leur profit. Henri II fait construire Anet pour Diane de Poitiers; François Ier réédifie Fontainebleau sur un nouveau plan pour plaire à la duchesse d’Étampes. Il faut en outre pensionner les dames de beauté lorsqu’elles arrivent à l’âge de la retraite, encourager par de fortes primes le métier d’épouseur de filles délaissées par les rois, qui était devenu la spécialité des gentilshommes pauvres, et compter par exemple 200,000 livres au marquis de Vintimille pour qu’il donne son nom à Mlle de Nesle; il faut encore garantir aux bâtards de France et aux princes légitimés une situation en rapport avec leur origine, et ce n’était pas trop de 12,000 livres de rentes pour chacun des enfans issus du Parc-aux-Cerfs, et de 320,000 livres de rentes pour le duc du Maine, issu de Montespan, la Junon tonnante et triomphante, comme l’appelle Mme de Sévigné.

Les états-généraux et après eux les parlemens protestèrent en vain contre les dépenses qu’ils nommèrent par euphémisme les dépenses de l’hôtel ou de la maison du roi. François Ier, pour se dérober à toute espèce de contrôle et faire disparaître les traces des prodigalités compromettantes, introduisit l’usage des mandats connus sous le nom de bons ou acquits au comptant. Ces mandats, sur lesquels la nature des crédits n’était point spécifiée, étaient soldés à vue par les trésoriers-généraux, qui les adressaient au roi immédiatement après les avoir acquittés, et celui-ci, à la fin de chaque exercice, les faisait brûler en sa présence. On admettait en principe qu’ils devaient être exclusivement appliqués soit aux subsides que la France payait aux princes étrangers, soit aux affaires intérieures qu’il importait de tenir secrètes; mais ce n’était là qu’une fiction. Le prince était toujours libre d’en disposer à son gré, et c’est au moyen de cette comptabilité mystérieuse que l’or des trésoriers, auxquels on donnait le nom dérisoire de trésoriers de l’épargne, passa discrètement du trésor public dans la cassette de Chateaubriant, de Fontanges et de Pompadour.

La noblesse et les plus hautes dignités furent gaspillées, comme l’argent, au profit des favorites. Charles V, pour récompenser les