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XVe et du XVIe siècle, qui ont parlé les premiers de ces communautés en France, mais qui ne soupçonnaient pas l’antiquité reculée de ces institutions primitives. Ce n’est point dans les circonstances particulières à la France et au moyen âge qu’il faut chercher l’origine de ces associations, qu’on retrouve chez tous les peuples slaves, chez les Hindous, chez les Sémites, et qui remontent aux premières formes de la civilisation. Déjà, quand tout le territoire appartenait encore en commun au village, les lots en étaient répartis périodiquement non entre les individus, mais entre les groupes de familles, comme cela a lieu aujourd’hui en Russie et comme, suivant César, cela avait lieu chez les Germains. « Nul, dit-il, n’a de terres en propre, mais les magistrats et les chefs les distribuent chaque année entre les « clans » et entre les familles vivant en société commune[1]. » Ces cognationes hominum qui una coierunt sont manifestement les associations de familles semblables à celles de la Serbie. Comme le partage primitif avait lieu entre les familles associées, il arriva tout naturellement que, quand ce partage fut tombé en désuétude, les associations se trouvèrent en possession du sol, et elles continuèrent à subsister obscurément, résistant à tous les bouleversemens, jusqu’à ce qu’elles eussent attiré l’attention des juristes vers la fin du moyen âge[2].

Toutefois il est certain que les conditions du régime féodal favorisèrent singulièrement la conservation ou l’établissement des communautés, parce qu’elles étaient dans l’intérêt des paysans et des seigneurs. La succession n’existait point pour les serfs mainmortabîes, dont la propriété à chaque décès retournait au seigneur. Lorsqu’au contraire ils vivaient en commun, ils héritaient les uns des autres, ou plutôt aucune succession ne s’ouvrait; la communauté continuait à posséder sans interruption en sa qualité de personne civile perpétuelle. « Assez généralement, dit Le Fèvre de La Planche, le seigneur se jugeait héritier de tous ceux qui mouraient : il jugeait ses sujets serfs et mortaillables; il leur permettait seulement les sociétés ou communautés. Quand ils étaient ainsi en communauté, ils se succédaient les uns aux autres plutôt par droit d’accroissement ou jure non decrescendi qu’à titre héréditaire, et le seigneur ne recueillait la mainmorte qu’après le décès de celui

  1. Ce texte est si important que nous croyons devoir le reproduire ici : « Nec quisquam agri modum certum aut fines habet proprios, sed magistratus ac principes in annos singulos gentibus cognationibusque hominum qui una coierunt, quantum iis et que loco visum est, agri attribuunt atque anno post alio transire cogunt. »
  2. Avant cette époque, on saisit déjà de temps en temps des traces de l’existence des communautés. Ainsi nous voyons, dans le Polyptique d’Irminon, sur les domaines de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, une association de trois familles de colons cultivant dix-sept bonniers de terre; seulement ce sont les commentateurs du droit coutumier qui les premiers ont donné à ce sujet des détails précis.