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résigner ses fonctions, il allait être nommé ministre en Grèce par la restauration, qui montra toujours plus que du discernement vis-à-vis de ses poètes, et sut mettre dans ses rapports avec eux certaines délicatesses qui doublent le prix d’une faveur. Ces prévenances qu’un gouvernement peut toujours avoir envers le talent, Lamartine en conserva jusqu’à la fin le souvenir, et Victor Hugo, lui non plus, ne les a point oubliées. Qu’on lise à ce sujet quelques vers tout récens d’une émotion si vraie et qui répandent je ne sais quelle suave et pure senteur de lis dans l’atmosphère si profondément viciée de l’Année terrible.

La Grèce attirait donc aussi Lamartine. Après Chateaubriand, après lord Byron, l’auteur des Méditations se devait à lui-même et devait à l’esprit de son temps ce pèlerinage. Il le fit en 1832, en légitimiste désœuvré à qui les électeurs venaient de refuser un siège à la chambre. Voyage à la Byron, entrepris dans toutes les conditions d’une existence princière! il frète un bâtiment, emmène sa famille et sa suite. A Beyrouth, il s’installe magnifiquement, ne marche qu’entouré d’un cortège d’Arabes; c’est ainsi qu’il rend visite à la vieille lady Hester Stanhope et recueille sur la montagne les étourdissantes prédictions de la pythonisse anglaise, puis rentre chez lui, évoquant « les idées, les religions, les empires » qu’il voir sortir de tant d’illustres ruines, grandir pour un moment et disparaître. Imitation, dilettantisme et vanité! l’étoile de Byron, sous laquelle il naviguait, ne tarda guère à lui porter malheur. Il perdit sa fille, et revint en France l’âme pleine d’une de ces incurables douleurs qui, lorsqu’elles ne font pas de grands chrétiens, font de grands révoltés. Lamartine, à dater de ce jour maudit, s’insurgea contre la Providence et fut vraiment le frère de Byron.


IV.

Une des plus charmantes perles de cette ceinture d’îles et d’oasis marines dont Venise la belle s’environne est assurément San-Lazaro avec son cloître d’élégante et simple architecture, et ses frais jardins plantés de vignes, semés de fleurs. Byron aimait à diriger de ce côté sa gondole vers le soir. Usé avant l’âge par les plaisirs et l’ennui, miné de fièvres, il abordait à cet asile du repos et du silence comme le cerf altéré de l’Écriture s’approche de la source d’eaux vives. Ces fuites rapides au Lido loin de sa maison pleine de débauches, ces violens exercices à cheval auxquels il se livrait dans un étroit espace, n’étaient que défis portés aux lois de la nature; les seules heures d’apaisement qu’il lui fût donné de goûter, il les