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nisme eut des haut-le-cœur ; les moins sévères se contentaient de l’éviter, les autres lui jetaient la pierre. Comment n’avait-on pas tout de suite dévisagé ce noir scélérat, mis à nu les vices qui se cachaient derrière ce masque d’honneur et de chevalerie ? Ses poèmes, ses talens, choses surfaites ! le serpent de l’Écriture a de ces ruses pour séduire et tromper l’innocence ; mais le péché tôt ou tard montre sa laideur, au cœur de ces strophes tant admirées on découvrait le poison de la corruption ; le demi-dieu disparaissait pour ne laisser subsister que le démon au pied de bouc, à l’éclat de rire cynique. Tant d’exagération dans la haine eut néanmoins le bon effet de provoquer certaines sympathies, de réveiller certains courages qui, soupçonnés à peine à l’heure du succès, n’en eurent que plus d’éclat dans la tourmente. Au moment où lord Byron s’apprêtait à quitter l’Angleterre, lady Jersey organisa publiquement une fête en son honneur ; tout Londres y fut invité par elle : crânerie superbe chez une femme de cette beauté, mais sans péril pour son renom toujours à l’abri des atteintes ! « Il valait la peine d’être ainsi attaqué pour être défendu de la sorte, » écrit à ce sujet Hobhouse. Miss Mercer, qui fut depuis Mme la comtesse de Flahaut, eut également son éclair d’intrépidité. Le poète ne l’ignora point. A Douvres, sur le port, et comme il allait s’embarquer, « donnez ceci de ma part à miss Mercer, dit-il à M. Davies en lui remettant un souvenir, et qu’elle sache bien que, si j’avais été assez heureux pour épouser une personne comme elle, je ne serais pas aujourd’hui condamné à l’exil. »

L’itinéraire de Byron portait ces mots : « la Suisse, l’Italie, puis la France… peut-être ! » Nous ne pouvons que regretter, et pour nous et pour lui, qu’il n’ait pas rempli tout ce programme. Byron, qui déjà nous aimait sans nous connaître, fût certainement devenu l’un des nôtres en nous fréquentant. Nos grands penseurs, nos gloires, l’attiraient en même temps qu’il détestait les Allemands ; détester n’est point assez dire, il les méprisait. « Je ne ferais des prières pour obtenir du ciel un hiver moins rigoureux que si je croyais que le dégel dût entraîner toute cette racaille qui s’est ruée sur la France, » écrit-il à Murray en janvier 1814, et il ajoute : « Quelle chose infecte que la proclamation de Blücher ! » Le destin en avait autrement décidé. C’était alors le temps des illustres pèlerinages en terre classique et en terre-sainte. Dès 1807 Chateaubriand parcourait la Grèce, la Palestine, l’Afrique et l’Espagne, promenant sa rêverie et son religieux don-quichottisme des ruines d’Athènes au tombeau du Sauveur, remplissant d’eau du Jourdain sa gourde légendaire, s’adossant à Minturnes sur le fût de colonne de Marius, et de là partant pour l’Alhambra, où la cour des