Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’entendre raconter, ou lire simplement dans Gibbon, comme Parisina, et qu’il reproduit en se contentant de verser sur les descriptions les trésors de sa palette et d’incarner son âme à lui dans leurs héros. « Les hommes qui ne portent point au front le stigmate de Satan, a dit un des biographes de Byron, M. Karl Frenzel, n’étaient dignes que de son indifférence. Il ne lui fallait que des Prométhée enchaînés, et jusque dans Marino Faliero maudissant Venise vous ressaisissez l’antique titan bravant les dieux ! »


II.

Après une absence de deux ans, Byron revient en Angleterre assez tristement préoccupé d’ailleurs des embarras qui l’y attendent. « L’avenir ne me sourit guère. Le corps miné par la fièvre, mais l’âme, j’espère, encore debout, je reviens chez moi, à mon home, sans un espoir, sans un désir. Le premier qui m’abordera, c’est un avocat, le second un créancier, puis viendront les fermiers, les gens d’affaires et tous les ennuis qui s’attachent à des possessions délabrées, contestées. Bref, je suis triste et mal à l’aise, et, si je parviens à réparer un peu mes irréparables affaires, je m’en irai derechef Dieu sait où. » Il rapportait de son voyage deux poèmes, l’un auquel il tenait beaucoup, une imitation d’Horace, Hints from Horace, l’autre à ses yeux de valeur tout à fait secondaire, Childe-Harold! Byron naturellement allait s’empresser de publier l’Horace lorsque, grâce à la vigoureuse intervention d’un ami, M. Dallas, ce fut Childe-Harold qui parut. Le lendemain, tout Londres portait le nom du poète aux étoiles. « Je m’étais endormi inconnu, je me réveillai célèbre. » En un moment, l’auteur se vit au faîte de la littérature : Southey, Wordsworth, Scott et Moore ne comptaient plus, il fallait en le nommant ne parler que de Shakspeare ou de Milton. Ministres, philosophes, grandes dames et grands seigneurs, leaders de la chambre et leaders de la mode, venaient se coudoyer à sa porte, et sur sa table les invitations des souveraines du haut ton couvraient de leurs plis parfumés les cachets emblématiques de ces billets que leurs auteurs ne signent point. « Mathews, Hobhouse, Scrope Davies et moi nous formions une petite coterie à part tant à Cambridge qu’ailleurs. Davies, qui ne sait pas ce que c’est que de noircir du papier, nous a toujours battus dans la conversation, et par la force de son esprit nous enchantait et nous maintenait à la fois. Hobhouse et moi, nous étions de beaucoup trop faibles pour les autres deux, et Mathews lui-même succombait devait l’entraînante vivacité de Scrope ! »