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gloire, ils ont vaincu, puis disparu. Quoi? tout cela fini! un conte bleu, l’étonnement de quelques heures passagères. » Ces strophes, lecture des esprits cultivés, poésie aristocratique dans le plus beau sens du mot, remuent à fond tous les cœurs capables encore de vibrer à ce nom sacré du Parnasse. « Combien déjà de toi n’avais-je pas rêvé! Ceux qui t’ignorent ignorent le sublime chez l’homme, et maintenant que je te contemple, la honte me dévore de me sentir si faible à te célébrer. Moi qui rêvais de si nombreux hommages à te rendre, je tressaille et ne sais désormais plus que m’incliner. Ma voix tarit, mon souffle s’arrête, mon œil plonge fixement dans la flottaison de tes nuages, et, pour dire ce que j’éprouve d’être si près de toi, je n’ai que mon joyeux silence ! »

La harpe de Byron n’a que deux cordes : méditation, contemplation de la nature. Qu’il ait à peindre dans Marino Faliero le tableau d’une fête vénitienne, ou dans Manfred les Alpes et Rome, c’est toujours la mélodie de Childe-Harold sous laquelle il met d’autres paroles. Ses douleurs, ses colères contre la race humaine pourront revêtir diverses formes, le cri de Harold restera l’expression-type de cette poésie à outrance qui rêve, blasphème et maudit si bien. Dans Harold, pour la première fois il se chante lui-même, et prend devant le public les traits, le geste et l’attitude qu’il gardera jusqu’à la fin. La pâleur au visage, l’air fatal, l’anathème aux lèvres, le cœur souffrant et dévasté, parcourant le labyrinthe du péché en prince ténébreux qui ne veut ni conseils ni consolations, ainsi partout il nous apparaîtra; le décor changera, les effets de lumière et de mise en scène se renouvelleront, le personnage ne se démentira plus. Childe-Harold, le premier en date des grands poèmes de Byron et son chef-d’œuvre, a l’imperfection qui caractérise le genre. Les choses s’y déploient sans projet ni plan, cela pourrait en quelque sorte ne jamais finir. Les aventures de don Juan, de même que les pérégrinations d’Harold, se prolongeront aussi longtemps qu’il plaira au poète. Rien n’empêche en effet qu’à la première Haydé une seconde ne succède, et que Harold-Byron, après avoir reproduit dans l’Hellespont les exploits de Léandre, n’aille se baigner dans le Gange et visiter Delhi après Athènes. On s’étonne aujourd’hui qu’une pareille forme ait pu trouver tant d’imitateurs alors qu’elle n’a vraiment pour elle qu’un intérêt : la personnalité du comédien. Certaines pièces ne réussissent que par l’acteur et n’admettent point les doublures. Ainsi de la poésie byronienne, qu’il ne faut pas confondre avec la poésie de lord Byron. Prenons maintenant les petits poèmes, les récits en vers, c’est la même absence de composition, le même désordre. La Fiancée d’Abydos, le Corsaire, le Giaour, autant d’anecdotes que le poète a pu