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réussi à l’éduquer, à le fixer? Plus âgée de quelques années que Byron, la jeune fille n’avait pas attendu de le connaître pour disposer de ses sentimens. Elle n’en agréa pas moins l’hommage du « jeune bancal, » et se laissa courtiser par lui avec cette adorable et perfide gentillesse féminine qui ne néglige aucun passe-temps et qui porte la plus simple des novices à coqueter avec une affection dont au demeurant elle ne veut rien faire. Le poème de ses amours avec Mary Chaworth, Byron l’a chanté dans le Rêve. Ils chevauchaient ensemble. Elle lui accordait des rendez-vous, lui donnait son portrait, souvenirs amers et brûlans consacrés par des vers splendides. Elle se maria, lui devint pair d’Angleterre, et ce fut bientôt le tour aux nobles passions des ancêtres de remplir et d’enivrer son âme. Le monde le plus brillant l’attirait, le fêtait. Il commença par y jouer le rôle d’un Alcibiade. Son visage était d’une beauté charmante : l’ange et le démon y combinaient leur expression selon le code du moment, et, pour compléter le personnage, certaines excentricités de costume : par exemple ce nœud de cravate qui chez nous fit école, ni plus ni moins que les stances du noble lord.

En 1807 paraissent ses premières poésies, Hours of idleness, dont la seule préface accuse la date. À cette affectation de modestie dans le suprême orgueil vous reconnaissez la marque du jour. C’est de la littérature de caste. « Si j’envisage l’avenir de ma situation et les futurs efforts qui me" seront imposés, il ne me semble guère probable que j’aborde jamais le public une seconde fois. » M. de Chateaubriand ne s’exprime pas autrement. Fabriquer de la prose ou des vers ne saurait convenir à des gens de qualité; ni leur naissance, ni leur éducation ne les ont préparés. S’ils s’essaient à ce jeu de vilain, c’est uniquement pour se prouver à eux-mêmes qu’un seigneur de leur importance doit savoir tout faire et même jouer du violon sans avoir appris; mais que le public ne s’imagine point que de semblables bonnes fortunes vont se renouveler souvent pour lui. « Qui voudrait rimer, pouvant faire autre chose? Je trouve la préférence accordée de nos jours aux écrivains sur les hommes d’action, et le bruit qui s’élève autour d’un ramas de scribes, un signe de misère et de dégénérescence. Qui diable écrirait, pouvant agir? L’action, l’action! disait Démosthène; de l’action donc, et non pas des écrits, mais surtout point de rimes[1]! » Sacrifier aux muses et aux grâces est une de ces faiblesses auxquelles on peut condes-

  1. L’action! disait, hélas! aussi La Calprenède dans ses préfaces : « la profession que je fais ne me peut permettre sans quelque espèce de honte de me faire connaître par des vers et tirer de quelque méchante rime une réputation que je dois seulement espérer d’une épée que j’ai l’honneur de porter. »