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être, la biographie de lord Byron serait le plus bel argument à choisir. Il naît le 22 janvier 1788 à Londres, d’un père insoucieux, étourdi, d’une mère emportée. Peu de temps après, ses parens se séparent; il reste aux soins de sa mère. Quand son père mourut, Geordie avait trois ans. Nature à la fois timide, ombrageuse et arrogante, nature d’enfant gâté que sa mère tantôt accable de caresses et tantôt maltraite, s’oubliant dans ses colères jusqu’à lui rire au nez de son pied difforme; l’orgueil, une vanité folle, étaient ses côtés vulnérables. Atteint, il ne songeait qu’à se venger, et cette misérable infirmité physique fut la première cause qui le fit douter de la Providence. Une éducation forte et virile, un travail âpre et soutenu, la lutte pour l’existence, l’eussent peut-être remis en équilibre en l’arrachant à l’incessante contemplation de ces souffrances moitié vraies, moitié imaginaires. Le 19 mai 1798, son oncle quitte ce monde, et voilà George Gordon pair d’Angleterre et seigneur de Newstead-Abbey. « Ne trouvez-vous en moi rien de changé? » dit-il à sa mère en accourant lui annoncer la nouvelle. L’enfant de dix ans venait en effet de se transfigurer. Il était lord ! Race étrange, insociable que ces Byron ! Depuis Henry VIII, qui leur fit large part dans la distribution des terres du clergé, depuis Charles Ier, qui leur conféra la pairie, ou plutôt depuis Guillaume le Conquérant, qui les amena de Normandie avec lui, ils peuplent la chronique des illustrations les plus farouches : aventuriers, dissipateurs, gens de sac et de corde. On a remarqué au sujet de certaines familles qu’avant de disparaître elles se résumaient dans un de leurs rejetons, dernier terme de leur activité à travers les âges, exemplaire suprême et fameux où se thésaurisent les vices et les vertus de toute une dynastie, et qui, au moral comme au physique, ressaisit, récapitule et fixe le type pour la postérité. Lord Byron fut ce produit caractéristique d’une suite de générations; en lui se dynamise l’esprit de révolte d’une race toujours hors la loi depuis des siècles, et dont il donna au monde comme une dernière édition revue et corrigée selon le code d’une époque de haute civilisation et de bonne compagnie.

Le prédécesseur immédiat du jeune seigneur, pour ne point mentir à son origine, avait tué en duel son voisin de campagne, un ami. Il vivait seul à Newstead-Abbey, vieillard grognon, atrabilaire; l’écroulement du château semblait lui sourire, ces ruines allaient à ses étranges goûts, à son humeur. Les gens du pays le redoutaient, le haïssaient; lui naturellement n’aimait personne. Sa plus joviale occupation était de molester son fils. Il ravageait ses terres à plaisir, faisait abattre mille hectares de bois pour diminuer d’autant la valeur de son héritage; mais son fils lui joua le tour de mourir le premier, et sa méchante haine eut cause perdue. Il n’appelait