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composé des débris de la commune parisienne, était là pour organiser la défense du conseil-général. Ce n’est pas tout : les fédéralistes, ne fût-ce que pour sauver les apparences, refusent de s’engager dans la politique. Les unitaires, sous l’inspiration de M. Karl Marx, proposaient de modifier les statuts de l’Internationale de façon à pouvoir désormais transformer les sections ouvrières dont on dispose en parti politique. On voulait se constituer à l’état militant : la grève d’abord, la barricade ensuite.

La lutte a été vive entre les deux partis. Comment a-t-elle fini ? Il serait assez difficile de dire qui est resté maître du terrain. On a maintenu le conseil-général, mais on l’a transporté hors de l’Europe, à New-York, D’un autre côté, la proposition qui tendait à faire de l’Internationale un parti d’action politique, cette proposition s’est perdue dans la confusion, au milieu des récriminations violentes des champions oratoires, s’accusant mutuellement de ne rien comprendre à la situation. Quand les Hollandais, qui avaient la bonhomie d’assister à ces séances comme à un spectacle, ont vu cela, ils se sont mis de la partie ; ils ont voulu, eux aussi, se donner un peu de ploisir, et ils ont répondu aux discours des internationaux en entonnant leurs chants patriotiques : « Celui-là aime du fond du cœur son roi et son Dieu, qui a du sang néerlandais dans les veines. » Du coup, le congrès et les orateurs ont disparu. Les uns sont repartis pour Londres, d’où ils étaient venus ; les autres ont pris le chemin d’Amsterdam où ils ont trouvé un banquet pour les réconforter. On s’est quitté en pleine scission, sans trop savoir ce qu’on avait fait, après des votes contradictoires et incohérens, où le seul fait assez clair est la tentative du parti jacobin, blanquiste, pour s’approprier cette terrible machine de l’Internationale. Cependant il resterait toujours une question qui n’est pas sans quelque importance, puisqu’il s’agit des travailleurs. Quel rôle ont joué les ouvriers dans le congrès de La Haye ? En quoi s’est-on occupé de leurs intérêts ? De véritables ouvriers, il y en avait à peine. Il y avait des journalistes, des médecins, des déclassés, des déclamateurs de clubs ; ce sont ceux-ci qui ont occupé la scène, qui ont été les personnages bruyans et importans. Quant aux intérêts mêmes des travailleurs, on n’en a pas parlé, si ce n’est pour dire qu’il fallait que le prolétariat conquît d’abord le pouvoir pour faire la loi aux bourgeois. C’est l’éternelle histoire : l’intérêt des travailleurs est le mot d’ordre, la destruction sociale et politique est le but, et les ouvriers sont les premières dupes des agitateurs qui se servent d’eux pour exploiter leur victoire, s’ils pouvaient réussir, — pour les livrer aux conseils de guerre, s’ils échouent. C’est ainsi qu’on marche à l’affranchissement du travail et des travailleurs !

CH. DE MAZADE.