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Chaque groupe produit ainsi presque tout ce que réclament ses besoins, très bornés et très simples. Il vend un peu de bétail, des porcs surtout, et achète quelques articles manufacturés. Les fruits de l’exploitation agricole sont consommés en commun ou répartis également entre les ménages ; mais le produit du travail industriel de chacun lui appartient. Chaque individu peut ainsi se faire un petit pécule à lui et même posséder en particulier une vache ou quelques moutons qui vont paître avec le troupeau commun. La propriété privée existe donc, seulement elle ne s’applique pas à la terre, qui demeure la propriété commune de l’association.

L’étendue moyenne du patrimoine de chaque communauté est de 25 à 50 jochs[1], divisés en un grand nombre de parcelles, conséquence ordinaire de l’ancien régime du partage périodique, depuis longtemps abandonné. Le bétail qui garnit cette exploitation se compose de plusieurs couples de bêtes de trait, bœufs ou chevaux, de 4 à 8 vaches, de 15 à 20 jeunes bêtes, d’une vingtaine de moutons et de porcs, et d’une grande quantité de volaille, qui entre pour une large part dans l’alimentation. Presque toujours le produit des terres et des troupeaux de la communauté suffit à ses besoins. Les vieillards et les infirmes sont entretenus par les soins des leurs, de sorte qu’il n’y a ni paupérisme, ni même, sauf de rares exceptions, de misères accidentelles. Quand la récolte est très abondante, le surplus est vendu par le gospodar, qui rend compte de l’emploi qu’il fait de l’argent ainsi reçu. Les individus ou les ménages se procurent les objets de fantaisie ou les vêtemens de luxe, dont ils ne se privent pas, au moyen des produits de leurs petits travaux industriels ou de leur champ particulier. Dans certaines régions, les femmes prennent alternativement, chacune pendant huit jours, la direction des différens soins du ménage, consistant à faire la cuisine et le pain, à traire les vaches, à faire le beurre et à nourrir la volaille. La ménagère temporaire s’appelle redusa, ce qui signifie « celle qui arrive à son tour. »

Les communautés qui habitent un même village sont toujours prêtes à s’entr’ aider. Quand il s’agit d’exécuter un travail pressant, plusieurs familles se réunissent, et la besogne est enlevée avec un entrain général ; c’est une sorte de fête. Le soir, on chante des airs populaires au son de la guzla, et on danse sur l’herbe, sous les grands chênes. Les Slaves du sud se plaisent à chanter, et les réjouissances chez eux sont fréquentes ; leur vie semble heureuse. C’est que leur sort est assuré et qu’ils ont moins de soucis que les peuples de l’Occident, qui s’efforcent de satisfaire des besoins chaque jour plus nombreux et plus raffinés. Dans cette forme primitive de

  1. Le joch autrichien équivaut à 57 ares 53 centiares.