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par la rafale. Nous marchions de file, le chien de Trickball en tête. C’était un de ces dogues de race qu’on admire à respectueuse distance : haute stature, large poitrail, ventre efflanqué, lèvres épaisses, crocs saillans, œil féroce. De tels animaux ne se laissent toucher que par leur maître.

Au niveau du col Saint-Jean, Trickball prit à travers la bruyère. un sentier de chamois qui nous conduisit au bord d’un ravin. Le mâtin s’arrêta soudain en raidissant ses pattes. Du fond des bois noyés dans l’ombre sortait un vague murmure. Le chien dressa les oreilles et se jeta résolument dans les broussailles en aboyant. Aussitôt le murmure cessa comme par enchantement, et à courte distance une orfraie cria trois fois.

— Mes hommes sont là, dit Trickball; avançons.

Au milieu d’une clairière brillait un feu de bivac. Deux ombres se découpaient sur le tronc des arbres voisins : on entendait parler et, à mesure que nous approchions, les voix devenaient plus distinctes.

— Te voilà, Fortuno, disait l’une, te voilà, mon bon chien !

— Prends garde, répondit l’autre, qui, à en juger par son accent, devait être celle d’un Gascon, prends garde, tu vas te faire mordre. — Un hurlement sauvage, immédiatement suivi d’un juron énergique et d’un coup de pied rudement asséné, me prouva que cet avis charitable n’avait pas profité. — Je t’avais pourtant dit, reprit le Gascon, que cette bête manquait de velouté !

Nous parûmes au détour du sentier.

— Fixe! — commanda Trickball. Les deux gendarmes se levèrent, joignirent les talons militairement et firent le salut. Trickball, appuyé sur sa carabine, les examina d’un œil perçant. — Vos mousquets sont chargés et vos gibernes garnies? dit-il. Vous savez quel gibier nous chassons?

Les soldats échangèrent un regard où se peignait l’hésitation.

— Un fraudeur, dit le premier tout à fait entre ses dents.

— Francesco Sevilla, ajouta le Gascon, plus hardi que son camarade. — Fortuno gronda sons un buisson.

—Tout beau ! Fortuno ! Tais-toi ! — Le mâtin se coucha, et Trickball reprit : — Francesco a dû passer la nuit à la ferme Santa-Pol. Je vais rôder aux environs. Vous autres, attendez-moi ici avec mon lieutenant, et faites bonne garde. Viens, Fortuno! — Le chien, qui se sentait en faute et craignait une correction, s’approcha humblement de son maître par un« marche de côté; mais le brigadier, jetant sa carabine sur son épaule, s’enfonça dans le taillis. Fortuno le suivait à quinze pas, la queue entre les jambes.

Les gendarmes avaient l’air gênés de ma présence. Je rompis à