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de la France fut dans cette conversation appréciée par le pontife en homme politique plutôt qu’en héritier de Grégoire XIII, et voici dans quels termes le duc de Nevers rendit compte de sa mission à ses commettans par cette lettre, insérée dans la compilation de Gomberville, et qu’on pourrait croire être restée inconnue à M. de Hübner, lequel nous a donné cependant beaucoup de pièces relatives à cette négociation et à ce voyage.

« Étant arrivé de nuit à Rome, dit le duc au cardinal de Bourbon, je fus descendre au logis de M. le cardinal de Pellevé. Il me reçut avec grandes démonstrations de joie, et me dit d’abord que j’étois venu trop tard, que les choses étoient bien changées, et que depuis le nouveau pontificat on regardoit les affaires de France en cette cour tout différemment de ce qu’elles paroissoient avant la mort du dernier pape ; que ceux qui avoient été les plus échauffés pour le parti des catholiques y étoient devenus si froids, toutes les fois qu’on leur faisoit des propositions pour l’avancement de nostre dessein, qu’ils ne parloient que de l’obéissance que les sujets doivent à leur prince légitime et de la mauvaise odeur que votre retraite de la cour donnoit à toute l’Italie. Je vous laisse à penser, monsieur, si je fus surpris de ces nouvelles... Je me résolus de ne point perdre de temps et d’envoyer demander au pape une audience pour le même jour. On me rapporta que le pape avoit témoigné de la surprise de mon arrivée, et qu’il avoit répondu qu’il me donneroit autant d’audiences que je voudrois. Je fus au palais le 29 juillet, et fus aussitôt introduit auprès de sa sainteté... Nous entrtâmes de suite en conversation. Je ne doute point, me dit-il que l’intention du cardinal de Bourbon et la vôtre ne soient bonnes ; mais en quelle école avez-vous appris qu’il faille former des partis contre la volonté de votre maître légitime? Très saint père, lui dis-je en me levant avec chaleur, c’est du consentement du roi que les choses se sont faites. Eh! quoi, reprit-il, vous vous échauffez bientôt... Je vois que vous avez l’esprit de tous ceux de votre association. Le roi de France n’a jamais consenti de bon cœur à vos ligues et à vos armemens. Il les regarde comme des attentats contre son autorité, et bien que la nécessité de ses affaires et la crainte d’un plus grand mal le forcent à dissimuler, il ne laisse pas de vous tenir tous pour ses ennemis, et ennemis plus redoutables que ne sont ni les huguenots de France, ni les autres protestans... Je crains bien fort qu’on ne pousse les choses si avant qu’enfin le roi de France, tout catholique qu’il est, ne se voie réduit d’appeler les hérétiques à son secours pour se délivrer de la tyrannie des catholiques. »

Le duc de Nevers ajoute au cardinal : « Vous voyez quels sont les sentimens du pape et combien il est éloigné de ceux de son prédécesseur. De temps en temps il s’écrioit contre Grégoire XIII, et