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rer un mouvement analogue dans une autre sphère de la direction politique et sociale. Pendant que les papes politiques, laissant la religion pour le vulgaire, s’abandonnaient aux calculs de l’ambition et aux jouissances de la vie, et que la société environnante goûtait les charmes de la culture de l’esprit et de la liberté des habitudes, pendant que Léon X s’occupait beaucoup des arts, peu des affaires de l’église, éclatait l’explosion de la réforme.

L’avertissement était sérieux, il fut compris. Une grande réaction se produisit à Rome, dans les conseils de la papauté, pour le redressement des mœurs, et dans le sein de la chrétienté pour la défense du catholicisme attaqué par Luther, auquel secrètement ou publiquement se rallièrent la plupart des humanistes, détrônés de leur influence par le mouvement de la réaction catholique. A l’avènement de Pie IV (1559), la réaction catholique s’annonce; sous le règne de Pie V (1566-72), elle est réalisée. Son résultat final, consacré cent ans après, à la paix de Westphalie, a été de maintenir un catholicisme sa large part d’influence morale sur la société européenne, tout en admettant les faits accomplis et les conquêtes de l’esprit moderne sur l’esprit du moyen âge, et depuis lors l’église n’a pu songer à recouvrer de haute lutte ce qu’elle avait perdu, sans risquer de compromettre ce qu’elle avait conservé. La correction des abus a-t-elle eu l’étendue et la direction désirables? Il est permis d’en douter; mais, pour être juste dans cette appréciation, il faut tenir compte des obstacles, des nécessités et des incidens. C’est ce qu’a fait M. de Hübner avec un sentiment d’équité soutenu par l’exacte connaissance des affaires du temps, trop favorable peut-être à la papauté, qu’il semble représenter comme ayant été prise au piège par les humanistes.

Le péril où les humanistes ont mis l’église romaine aux XVe et XVIe siècles a été grave sans doute, d’autant plus qu’il ne venait plus cette fois du chaos de la féodalité, comme au temps des comtes de Tusculum[1], ni du conflit avec les puissances de la terre, comme au temps d’Henri IV de Franconie ou de Frédéric II de Hohenstaufen, mais de l’opinion seule des esprits cultivés, dont Rabelais fut en France l’écho trop effronté, mais de la civilisation renaissante elle-même, et de la lumière que son flambeau rallumé

  1. Voyez le premier article de M. Mignet, sur l’ouvrage de M. de Cherrier, dans le Journal des Savans, et l’Art de vérifier les dates, 1783, t. Ier, p. 268 et 274.