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la foi en restèrent profondément affaiblis, et de contagieuses manifestations séparatistes furent la conséquence de ces désordres en Allemagne, en Angleterre et ailleurs. L’unité romaine triompha, mais pour être soumise à des épreuves d’un autre genre. A partir de 1417 jusque vers le milieu du XVIe siècle, la papauté compte deux séries distinctes de pontifes : celle des papes pieux, pénétrés de la sainteté de leur apostolat, véritables pontifes de l’église, à laquelle succède depuis 1471 une autre série, celle qu’on a nommée des papes politiques, et où l’on compte Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI, Jules II, Léon X et Clément VII, pour lesquels le soin d’étendre et de consolider leur pouvoir temporel, de le transmettre à leurs familles, d’acquérir des territoires par la guerre et autrement, en un mot pour lesquels les préoccupations mondaines et politiques du souverain absorbent toute l’attention du prince de l’église. Les contemporains des papes politiques ne semblent pas même avoir été trop surpris de cette déviation morale de la papauté. Arioste a célébré Lucrèce Borgia, sans paraître heurter la conscience publique, et quant aux impressions des politiques du temps, Machiavel et Guichardin en sont les immortels témoins. Jules II a été l’un des souverains les plus considérés du siècle. Il jouissait de la réputation d’un très habile homme de guerre, et nul n’en semblait révolté. Un savant et pieux religieux bénédictin nous dit que « Jules II employa, pour relever la puissance temporelle du saint-siège, les moyens les plus propres à lui faire perdre, s’il était possible, sa puissance spirituelle, en quoi consiste sa vraie grandeur[1]; » et, chose singulière, par une suite de la réaction générale qui s’accomplissait alors au profit du pouvoir monarchique, c’est sous le règne de Jules II que commença de s’établir l’opinion de l’infaillibilité pontificale[2]. Le sentiment chrétien était gravement altéré non-seulement sur la chaire de Saint-Pierre, mais encore dans une partie considérable de l’Europe occidentale, en France, en Italie, en Angleterre, en Allemagne. C’était le résultat d’une révolution dans les esprits, dont l’influence s’est prolongée jusqu’au milieu du XVIe siècle.

La papauté était alors en présence d’un danger, né de causes extérieures, mais non moins formidable pour sa considération, sa puissance et son autorité morale. C’était l’esprit de la renaissance d’où est né le doute, le scepticisme, le libre examen. La renaissance est le grand événement qui a changé le destin de l’Europe. Un élément inattendu de civilisation apparaissait, le génie du monde ancien se relevant sur ses ruines. L’esprit païen, endormi depuis mille ans, se réveillait et charmait l’intelligence humaine.

  1. L’Art de vérifier les dates, t. I, p. 331.
  2. Voyez Ibid., et Fleury, IXe discours.