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leté merveilleuse pour déguiser l’affaiblissement de sa puissance réelle; elle s’appliquait à l’art de négocier, et en négociant à sauvegarder ses intérêts sans les remettre au sort incertain des armes. Elle compte pour beaucoup dans le perfectionnement des fonctions diplomatiques en Europe. De son côté, le sombre Philippe II exigeait de ses agens à l’étranger des rapports soignés et détaillés. Il les lisait avec attention, en méditait la portée, et les annotait souvent de sa main. Les plus grandes affaires de l’époque étaient l’objet des rapports de ses agens : rapports partis de Rome, de Paris, de Londres, de Venise pour aller s’enfouir dans une forteresse près de Valladolid. On comprend donc l’importance des archives de Simancas pour l’histoire d’une époque où l’influence espagnole a été d’une si grande considération. Là, sur des feuilles jaunies par les siècles, se traduisent en un langage simple, sévère, élevé, les observations qu’inspiraient aux ambassadeurs la connaissance du cœur humain, la science des choses, la patiente réflexion, la dignité alliée à la souplesse, l’instinct et le tact de l’homme d’état. Le secret de l’histoire moderne de l’Europe est dans les archives diplomatiques. Aussi l’esprit contemporain s’est-il appliqué avec ardeur à la recherche et à l’étude de ces renseignemens précieux. La faveur n’a fait défaut à la publication d’aucun des monumens encombrans de correspondance politique ou privée dont s’est enrichie notre époque, et ce travail d’investigation a changé la face de la littérature historique, sous l’habile impulsion de maîtres que tout le monde connaît[1].

Ce n’est point à dire que l’usage des correspondances soit nouveau dans la pratique des historiens. De Thou en a tiré grand profit dès le XVIe siècle; Strada eut la disposition de pièces diplomatiques pour la rédaction de certaines parties de son livre sur les guerres des Pays-Bas. Bougeant a écrit l’histoire du traité de Westphalie avec la correspondance de M. d’Avaux. Les pères Daniel et Griffet ont aussi puisé aux documens originaux pour plusieurs chapitres de leur grand ouvrage. Ruhlière a raconté l’anarchie de Pologne avec le secours des correspondances du ministère des affaires étrangères; mais la plupart de nos historiens modernes, et l’école philosophique du dernier siècle la première, avaient négligé cet instru-

  1. Il serait injuste de ne pas donner ici, au nom même de la science historique, un témoignage de reconnaissance à M. Guizot, qui, dès son entrée au ministère de l’instruction publique, il y a quarante ans, ordonnait la publication de cette immense collection des Documens inédits pour l’histoire de France, où ont trouvé place de curieuses relations des ambassadeurs vénitiens du XVIe siècle, les correspondances du cardinal de Granvelle, de Henri IV, du cardinal de Richelieu; les négociations pour la succession d’Espagne, etc., et où se publie aujourd’hui la correspondance du cardinal Mazarin. Ce grand mouvement de recherches s’est propagé dans toute l’Europe et a produit les plus importantes révélations.