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plaider la cause de Houston, qui était à ses yeux celle du devoir. Elle parla si bien que Cécile, dont la conscience n’était pas tranquille, se laissa enfin arracher une lettre dans laquelle elle racontait à Houston le serment qu’elle avait fait à Gérald Anstruther, comment la crainte de commettre un parjure l’avait empêchée de se rendre aux instances de son mari; enfin que la mémoire de son fiancé lui était plus chère que jamais, mais qu’elle ferait ce que le colonel ordonnerait. S’il estimait que la mort d’Anstruther l’eût déliée de son serment, elle se soumettrait à sa décision. La lettre était brève et froide, aucune parole affectueuse, le seul désir de faire son devoir.

Houston s’était enfoncé dans les déserts du Nouveau-Monde. C’est là qu’il reçut la lettre de Cécile. Un nuage se répandit sur ses yeux, son cœur battait d’étrange sorte. La commotion fut si violente qu’il demeura quelques instans sans voir. Remis de son étourdissement, le colonel déchira précipitamment l’enveloppe et lut avidement la lettre de Cécile; puis il cacha son visage dans ses mains et se prit à penser. Il voyait poindre devant lui l’aurore de jours heureux, qu’importait que la lettre fût sèche? Le temps cicatriserait toutes les blessures, l’amour forcerait l’amour. Son heure était venue; mais ce vœu dont elle lui parlait? Était-elle déliée de son serment? Le lendemain, au point du jour, Houston était en route pour l’Angleterre. C’était l’hiver, le temps était mauvais, et il fallait franchir le cap Horn. La tâche était périlleuse pour un petit yacht. Le colonel ne songeait pas au danger : il avait vaincu enfin, — il voguait vers elle, vers le bonheur, il affrontait la tempête d’un cœur léger.

Un soir, — la mer était grosse et l’Hirondelle se trouvait près du cap Horn, — on aperçut un navire en détresse. Sans tenir compte des avertissemens de ses marins, le colonel alla hardiment au se- cours de l’équipage, et bientôt le pont de l’Hirondelle fut encombré d’une lourde cargaison humaine. — Partons, colonel, dit Lynn, le maître d’équipage; nous avons tout ce que le yacht peut porter, et, si le gros temps continue, nous aurons de la peine à nous en tirer.

— Encore celui-là! Regardez, il pousse devant lui un homme cramponné à une épave : c’est un brave ; prenons encore ces deux-là.

— Si vous les prenez, nous coulons tous. Notre bateau est déjà trop chargé.

— Ils accostent ! Prenons au moins celui qui ne sait pas nager.

— Soit; mais pas un de plus. Au large, vous qui nagez ! nous ne pouvons pas vous prendre, nous sommes trop chargés.

Houston jeta une corde au naufragé; on le hissa sur le pont. Lynn avait dit vrai, l’Hirondelle était surchargée, et on put croire un