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LETTRES D’UN MARIN.

d’eau ; ce n’était ni plus ni moins que votre frère que je contemplais, moi, tranquillement établi au sec sur le trottoir à l’abri de mon parapluie.

Le traité avec Rosas est accepté par le cabinet ; il n’y manque plus que l’approbation de l’assemblée, à qui on le soumettra. Il n’est guère meilleur que le premier, peut-être même de prime abord heurte-t-il davantage la vanité nationale ; mais que faire ? Le refuser serait une folie, il faut l’avaler.

Vous avez dû lire dans les Débats le compte-rendu des deux séances successives de la commission de permanence ; c’était Dupin lui-même qui avait envoyé les notes. Eh bien ! croiriez-vous que ce grand citoyen, en allant trouver l’autre président, lui a dit : « Ne vous effarouchez pas, tout cela n’est rien, vrais bavardages, dont il n’y a pas à tenir compte. » Amen !

Mes souvenirs à M. de La Grange et au duc de La Force.


Vitry-le-Français, dimanche 2 février 1851.

Je n’ai pas pu vous écrire hier. Ce sont de tristes affaires que ces dépouillemens de succession. Et puis ce vide sans fond de la chambre d’une morte où l’on retrouve tout, tout, excepté sa mère. Ça resserre le cœur. Nous sommes à la porte de l’église, les cloches ne font que sonner, il me semble toujours entendre un enterrement. J’espère être à Paris demain.


Vitry-le-Français, mardi 4 février 1851.

Tout est fini. Hier soir en rentrant chez moi, j’ai trouvé quelqu’un de la maison de ma mère qui m’attendait. Je me suis mis en route dès ce matin ; à mon arrivée, elle rendait le dernier souffle. Elle s’est éteinte sans que personne puisse dire le moment précis. La vie s’est effacée chez elle par degrés insensibles ; pas un soupir, pas une plainte. Je l’ai bien embrassée, rien n’a changé dans son visage. Chose étrange ! elle sourit encore ; mais son front est froid, froid ; oh ! ce froid de la mort vous pénètre jusqu’aux os. Quand je la regarde attentivement, il me semble qu’elle respire encore. Pourtant sa langue est glacée, tout est consommé. Pauvre mère ! ses enfans l’ont ensevelie de leurs propres mains, comme elle le désirait : pas un étranger ne l’a touchée, ses derniers vœux sont tous remplis. C’est donc bien vrai que je ne l’entendrai plus !


Mercredi soir, 5 février 1851.

Je ne veux pas vous écrire. Ce sont des scènes déchirantes, mais elles doivent rester au fond du cœur. À demain l’éternel adieu ! Je crois toujours qu’elle va se réveiller. Elle n’a pas cessé de sourire.


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