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conçut sur-le-champ une violente aversion contre son nouveau chef. Il alla, tout hors de lui, raconter cette scène à Cécile. La petite reine fut consternée à l’idée de quitter ses vieux amis, au milieu desquels elle avait passé tant d’années heureuses. Quand Villars la vit si troublée, il s’efforça de lui rendre un peu de courage. — Ne vous laissez pas abattre, reine ; nous vous défendrons tous contre le colonel; il faudra bien qu’il cède. — Il la laissa un peu consolée, en lui donnant rendez-vous à un bal qui avait lieu le soir même,

Cécile dansait avec Villars, qui lui proposa de passer dans un petit salon où il avait remarqué des photographies assez curieuses. Tandis que tous deux feuilletaient un album en babillant étourdiment, le capitaine Anstruther apparut sur le seuil. Cécile lui tendit la main en souriant, mais elle n’eut pas plus tôt jeté un coup d’œil sur la physionomie extraordinairement sombre de son ami qu’elle eut le pressentiment qu’il y avait de l’orage en l’air. En effet, Gérald la salua avec une raideur de mauvais augure; il lui demanda une valse, pendant laquelle il ne desserra pas les dents, puis il l’emmena silencieusement dans le petit salon, la fit asseoir dans l’embrasure d’une fenêtre et prit place à côté d’elle, toujours sans parler. Effrayée de ces préliminaires solennels, la petite reine jouait machinalement avec son bouquet en se demandant quel nouveau crime elle avait commis. Les minutes s’écoulaient, le silence régnait toujours. Enfin Anstruther prit la parole d’une voix grave. — Comment se fait-il que je vous trouve encore en tête-à-tête avec Villars? Vous savez que cela me déplaît. Je me verrai obligé devons défendre formellement de le voir sous peine de rompre avec moi.

Cécile devint pourpre; elle se redressa fièrement. Depuis longtemps, les tyrannies de Gérald l’humiliaient à ses propres yeux. Il y eut entre eux une explication véhémente, des larmes, des reproches, puis le capitaine demanda pardon, promit de se corriger, et offrit à Cécile son bras pour la reconduire dans la salle de danse. Au moment où ils quittaient le petit salon, un homme de haute taille qui était debout contre la porte remarqua leur émotion et murmura en les suivant des yeux : — Il se passe quelque chose. Quelle jolie fille! il faut que je sache qui elle est, et ce qu’il y a entre eux. — Le colonel Houston, après ce soliloque, alla trouver Villars, et lui demanda le nom de la jeune personne.

— Je ne sais pas trop, je vais m’en informer, repartit malicieusement le jeune homme. En attendant, venez, je vais vous présenter à notre reine. — Il fit faire au colonel le tour de la salle sous prétexte de chercher la reine, et, arrivé devant Cécile, il s’arrêta brusquement. — Permettez-moi de présenter notre colonel à votre majesté ; il a le plus grand désir de faire votre connaissance.

Cécile s’inclina. Houston surprit un sourire railleur et un regard