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temps. Elle répondit aux propositions de Bernis par une promesse de consentir à la paix, si la prochaine campagne n’était pas plus heureuse, se réservant de contre-miner et de détruire l’homme suspect qui était resté trop bon Français pour se montrer bon Autrichien. Une explication eut lieu le 28 février 1758 entre Bernis et le comte de Kaunitz : celui-ci, usant d’une exagération calculée, feignit de croire à l’hostilité du ministre, déplora la rupture imminente d’une alliance réputée si solide, et se plaignit ouvertement de l’abandon où la France menaçait de laisser ses amis ; en même temps il essayait de regagner par des flatteries le cœur de l’abbé, dont on savait la faiblesse. « Notre bonne étoile nous avait donné en vous, monsieur l’abbé-comte, un ministre fait pour les temps dans lesquels la Providence lui a confié la direction des affaires, éclairé, capable de voir dans le grand, au-dessus des anciens lieux-communs et préjugés, et sachant apprécier les choses ni plus ni moins qu’elles ne valent ; en un mot tel qu’il nous le fallait. » À ces manèges d’une fausse bonhomie, Bernis n’opposa qu’un aveu plein de sincérité qu’il appelle sa confession générale. Il y reprenait en détail les raisons contenues dans ses dépêches à Choiseul, insistait avec intention sur les embarras financiers de la France, point délicat et particulièrement sensible à l’Autriche, qui ne se soutenait que par nos subsides. « Je trahirais le roi, l’état et nos alliés, si je parlais un langage plus obscur et plus équivoque. » Un commentaire, écrit pour Choiseul, accompagnait cette dépêche ; le ministre y fait preuve d’une intelligence politique supérieure à celle qu’on lui attribue généralement. « La cour de Vienne, qui avait une si grande idée des ressources de la France, doit être bien étonnée de la voir si vite abattue ; mais il est presque aussi aisé, avec de meilleurs principes, de remettre la France sur le bon pied qu’il est facile d’y introduire et d’y entretenir le désordre et la confusion. Ainsi nos amis et nos ennemis feront toujours de faux calculs quand ils nous croiront plus redoutables ou moins à craindre que nous ne sommes. » L’année 1758 se passa dans ces incertitudes, que la guerre ne contribuait pas à éclairer ni à fixer.

Se défiant à la fois de l’Autriche et du roi, Bernis, l’homme des transactions, avait imaginé un moyen terme qui, supposant la durée de la guerre et de l’alliance, sauvegardait du moins l’intérêt national en rendant à la France la libre disposition de ses forces contre l’Angleterre. Il s’agissait de revenir au premier traité de 1756 et au contingent stipulé de 24 000 hommes ; on devait former ce corps auxiliaire avec les régimens suisses et allemands à la solde du roi, ou remplacer le secours armé par un nouveau subside. Bernis roula ce projet dans sa tête pendant tout l’été de 1758, le révélant