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REVUE DES DEUX MONDES.

Ainsi vous voilà dans le plein exercice de vos fonctions de reine d’Aquitaine ! Eh bien ! belle majesté, puisque vous daignez parfois laisser tomber sur votre serviteur un regard de grâce, il faut que je vous remercie des deux lettres de M. de G… et aussi des ordres qu’il vous a plu de donner, afin d’assurer l’approvisionnement de ma cave pour les pèlerins qui s’aventurent jusqu’à mon ermitage.

Dans ce pays-ci, on n’est point socialiste, la république n’y est pas non plus accueillie avec faveur, je ne rencontre point de chauds adhérens à cette forme de gouvernement. Nos paysans disent : Que fait donc cette assemblée nationale ? Comment ! il leur faut tant de temps pour nommer un roi ! Leur intelligence ne va pas jusqu’à comprendre l’autorité mobile d’un président. Hier j’ai été visiter une ferme au sein de la Champagne pouilleuse ; vos fraîches promenades sur les bords de la Gironde me revenaient en mémoire pendant que je parcourais les champs arides et brûlés de nos collines crayeuses ; je comparais les bouquets de pins, que nous avons tant de peine à faire prendre, aux riches arbres qui jaillissent pour ainsi dire de vos fortes terres, nos frêles graminées, dont la tige tremble seule, sans souffle de brise, à vos riches herbages. Oh ! il ne me viendrait pas dans l’esprit de vous inviter à partager de pareilles promenades ; il faut être né dans la Champagne pour en tolérer les arides aspects. Et puis votre beau fleuve tout couvert de voiles, quelle opposition avec nos puits qui vont chercher l’eau à des centaines de pieds dans les entrailles de la terre ! Enfin dans un mois nous nous retrouverons sur les bords de la Seine. C’est un terrain neutre qui appartient à tout le monde.

Vous avez vu M. de S…, qui revient courtiser l’opinion publique. En vérité, pour ce qu’il en doit retirer, ce n’était pas la peine. Je vois les candidats à la représentation nationale se précipiter dans les professions de foi les plus démocratiques ; mais il ne me paraît pas que ceux qui réussissent soient précisément ceux-là mêmes qui aient flatté les plus basses passions. Je remarque aussi qu’il n’y a d’inquiétude sur les affaires que dans la classe élevée de la population ; les classes inférieures ne semblent pas saisir ou sentir le moindre danger ; elles s’étonnent qu’au milieu de l’abondance le commerce ne reprenne pas, leur sentiment de l’avenir ne va pas plus loin. Est-ce un bonheur ? est-ce un nouveau danger ?


Auteuil, le 14 septembre 1849.

Me voici de retour à Paris, où je trouve deux lettres de vous et un journal de la Gironde qui renferme un discours de M. de La Grange. Nous déplorons tous avec vous la mort de M. Ravez : c’est une perte pour l’ordre que nous devons soutenir ; mais enfin il