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Knipperdollinck et Krechting, a été trop souvent racontée pour que j’aie besoin d’entrer à son sujet dans quelques détails. L’éphémère roi de Münster affecta devant ses juges un sang-froid qui tenait plus de la forfanterie que du courage; il soutint avec obstination une dispute contre deux théologiens hessois qui s’efforçaient de le convaincre de mensonge. Toutefois il ne persista pas longtemps dans cette assurance et confessa son imposture, implorant sa grâce, s’engageant à ramener à l’obéissance et à la vérité tous ceux qu’il avait abusés. Après qu’on eut promené ce misérable de ville en ville et de prison en prison, le donnant en spectacle à un peuple avide de contempler les traits d’un homme qui avait tant fait parler de lui, on le ramena à Münster. Il fut exécuté avec ses deux séides, ayant été préalablement soumis à des tortures dont on montre encore dans cette ville les terribles instrumens. Knipperdollinck fit preuve de plus d’énergie que son maître au milieu de ces supplices, dont la cruauté de nos pères était si ingénieuse à varier les raffinemens. L’évêque ordonna que les restes de Jean de Leyde fussent enfermés dans une cage de fer que l’on hissa au sommet de la tour de Saint-Lambert, et les ossemens du tailleur-prophète demeurèrent pendant plus de deux siècles ainsi exposés comme une menace contre ceux qui auraient tenté de ramasser sa couronne, tombée dans le sang et la boue.

L’insurrection anabaptiste était à tout jamais vaincue. L’alliance faite par cette secte avec la démagogie, les monstrueuses extravagances de ses derniers prophètes, avaient perdu sa cause et flétri dans leur germe les sentimens de vraie fraternité et l’esprit sincèrement chrétien dont était pénétrée sa doctrine primitive; mais ce qu’il y avait de pur et de réellement évangélique dans l’anabaptisme survécut à ses dangereuses aberrations, et l’héritage de ses idées les plus respectables passa à une communion inoffensive et charitable qui étendit en Angleterre et jusqu’aux États-Unis de vigoureux rameaux.

Le socialisme religieux, qui avait au XVIe siècle enthousiasmé tant d’esprits ardens, exalté tant d’ambitions déréglées, armé tant de révoltes, leurré tant d’âmes crédules, disparut comme avaient disparu nombre d’hérésies et de fastueux systèmes dont la prétention était de régénérer l’humanité, et qui n’en agitèrent que la surface. La postérité s’étonne que de pareilles spéculations aient pu susciter le fanatisme et passionner des milliers d’hommes; elle ne songe pas qu’elle assiste à des illusions et à des chimères qui, pour être moins naïves et moins grossières, ne sont ni plus sensées ni plus respectables.